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L'histoire de la semaine, c'est la destinée tragique de l'aventurier Henry Worsley, cet ancien officier de l'armée britannique, très proche du prince William, voulait être le premier homme à traverser l'Antarctique en solitaire et sans assistance. Il a échoué tout près du but. Après 71 ans d'épopée, Worsley, 55 ans, est mort d'épuisement sur la banquise.

Les craquements de la banquise, le feulement du vent, jamais d'autre bruit. Tout autour, du blanc, du blanc partout. Des montagnes de blanc qui tombent dans l'eau et qui se mélangent avec le ciel. Un blanc aveuglant, un blanc qui peut rendre fou, un blanc pétrifiant : l'endroit le plus froid de la Terre.L'endroit le plus poétique du monde pour Henry Worsley. Worsley, un personnage Kiplingien, l'homme qui aurait voulu être le roi de l'Australe, la dernière terre inexplorée de la planète.Worsley qui aurait voulu être le premier à le traverser tout seul à pieds. Une bonne paire de ski, il en aura fallu à cet ancien colonel de l'armée britannique pour se lancer dans l'aventure. Un défi à moins 50 degrés, le souffle coupé sur plus de 1600 kilomètres. Un pied devant l'autre, poussant ou tirant son traîneau.

Pas de chien, pas l'ombre d'un hélicoptère, rien un homme tout seul qui aura marché pendant des semaines, sur les traces de son héros, Ernest Shackleton, une légende anglaise des expéditions polaires, l'un des premiers explorateurs à avoir brisé la glace de l'Antarctique. Shackleton qui n'est jamais parvenu à traverser le grand blanc. Réussir là où Shackleton avait échoué, c'était le rêve d'enfant d'Henry Worsley. En 1960, un hochet d'argent sur son berceau, une maternité pas loin de Buckingam, la jeune Elisabeth règne déjà sur l'Angleterre. Un fils de général, qui à cinq ans, passe son temps à faire tourner les mappemondes de papa. Un petit doigt tout en haut l'autre tout en bas, le nord, le sud, les pôles magnétiques, irrésistibles. Plus tard, il lira les récits de Charcot, Scott, et de Shackleton bien sûr. Leurs histoires d'explorateurs perdus sur la banquise ou prisonniers des Glaces. Je savais qu'un jour j'irai là-bas retrouver leurs traces avait confié Henry Worsley en 2008 lors de sa première expédition dans l'Antarctique. Une aventure qui l'avait conduit au Cap Royd, sur l'île de Ross, dans le refuge où un siècle plus tôt, l'explorateur anglais s'était installé un an lors de l'expédition Nimrod.

Worsley racontait ce qu'il avait ressenti dans cette cabane, ce qu'il avait reniflé, ce qu'il avait entendu, leur conversation, les rires et les toux grasses de Schakelton et de ses compagnons, l'odeur du tabac, du thé, du jambon séché et de la combustion du charbon dans le poêle. Pas de folie là-dedans non, juste l'imprégnation profonde du passé. Depuis Henry Worsley était retourné quelques fois dans son Antarctique, seul, loin des casernes, 36 ans au service de l'armée de sa gracieuse majestée à crapahuter d'Irlande du Nord en Afghanistan en passant par la Bosnie où il avait traqué des criminels de guerre. Un colonel qui faisait rigoler ses hommes lorsqu'il se mettait à la couture. Du tissu, du fil, une aiguille, rien de tel pour de dépeloter les nerfs, disait-il. De l'humour, une grande bienveillance, l'élégance d'un gentleman officer qui s'était lancé dans la traversée de l'Antarctique pour venir en aide à des soldats blessés. Des gueules cassées par des guerres dont lui, le colonel, était sorti sans une égratignure.

La semaine dernière, Henry Worsley a lancé un seul SOS quelques minutes avant de mourir. Un dernier message : "mon voyage touche à sa fin, mon sommet était hors de portée". Un mirage, tout autour de lui du blanc, du blanc partout, un drôle de blanc, sans doute étrangement aveuglant.