EDITO : " Je ne sais plus si j’ai regardé du football ou un test de laboratoire grandeur nature"

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La Bundesliga était le premier grand championnat d'Europe à reprendre ce weekend après deux mois de trêve forcée à cause de l'épidémie de coronavirus. Mais l'excitation de revoir du football s'est vite envolée pour notre éditorialiste Virginie Phulpin, qui n'a guère apprécié ce "voyage au pays de l'absurde".

Il y a eu du foot ce week-end. Le championnat d’Allemagne a repris. Mais pour vous, c’était douloureux de voir des matches dans ces conditions. 

Au départ, j’avais des picotements dans les yeux. Oh, du foot, ça fait deux mois qu’on n’en a pas vu ! Même si j’étais plus que dubitative face à cette reprise, au moment du coup d’envoi des matches, samedi, je me suis dit : "allez, ça va nous faire un bien fou, on va passer 90 minutes comme avant, en mettant ce virus de côté pour l’après-midi, et on va parler coups francs et passements de jambe".

Oui, mais l’enthousiasme a été vite douché. En fait, on n’a pas regardé un match de foot, on a regardé comment se passait un match de foot au temps du coronavirus. Et ça n’est pas du tout la même chose. On ne profite d’aucune action, on ne décrypte pas la tactique ni la technique, on regarde si les joueurs respectent les consignes de sécurité. Point barre. J’avais l’impression d’être un contrôleur devant ma télé, et pourtant je vous assure que ça n’était pas ce que j’avais prévu de faire. Mais il est là, ce virus, et c’est très compliqué de s’en détacher. 

Et en regardant ces matches de cette manière, ce qui saute aux yeux, c’est le manque de logique totale qui prévaut. Il ne faut pas se tomber dans les bras les uns des autres après un but, mais quand il y a un coup franc adverse, les joueurs sont collés serrés pour former un mur. Les remplaçants sont masqués et éloignés les uns des autres, mais quand ils rentrent sur le terrain ils tapent dans la main de celui qui sort. Il y a danger ou il n’y a pas danger, alors ? Ça tenait plus du voyage au pays de l’absurde que d’une immersion en Bundesliga, cette histoire. 

Et puis évidemment, il n’y avait pas de public, c’était à huis-clos.

Ca, ça n’était pas une surprise, mais ça fait encore plus mal en direct. Quand deux joueurs se hurlent dessus pour s’adresser quelques politesses dont on aurait pu discuter pendant des heures dans le monde d’avant, ce qu’on retient, là, c’est que si on les entend, c’est parce qu’il n’y a personne en tribunes. Et non, on n’a pas forcément envie de vivre le foot comme ça. Même s’il y a eu six millions de téléspectateurs en Allemagne samedi, un record.

Forcément, il y avait un manque de foot. Mais là, on dirait qu’on s’est tous réunis pour un concert en play-back. Comme si la petite musique du football était là, mais sans l’émotion, sans l’échange. Est-ce qu’il va falloir s’habituer à ça ? Ca fait partie des questions sans réponse pour l’instant. Mais quand l’argument de ceux qui voulaient faire reprendre le championnat à tout prix était qu’on avait besoin de ces moments de bonheur, honnêtement c’est un bonheur un peu frelaté.

Et puis au coup de sifflet final, il reste une interrogation. Est-ce qu’ils ont pris des risques ? Est-ce que dans quelques jours il n’y aura pas des cas positifs dans les équipes ? Je ne sais plus si j’ai regardé du football ou un test de laboratoire grandeur nature. Ca laisse un goût assez amer.