Affaire Belounis : "Nous portons plainte pour escroquerie"

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SAISON 2013 - 2014, modifié à

Zahir Belounis a enfin pu rentrer en France après avoir été bloqué au Qatar par son employeur pendant un an et demi. Il décide aujourd'hui de porter plainte.

Frank Berton, l’avocat du footballeur Zahir Belounis, retenu un an et demi au Qatar

Ses principales déclarations :

Alors que l'affaire semblait réglée puisque Belounis est rentré, vous annoncez que vous voulez porter plainte. Porter plainte contre qui et pourquoi ?

"En réalité, M. Belounis a du faire un certain nombre de concessions. Il a dû renoncer, en signant une lettre de licenciement anticipée de février 2013, la signer en novembre 2013, en présence, il faut le dire, des autorités diplomatiques françaises, parce que sinon il n'avait pas ce qu'on appelle son visa de sortie. "

 

Parce qu'au Qatar, pour sortir du pays quand on travaille, c'est l'employeur qui décide de vous rendre votre visa de sortie.

"Voilà, c'est ce qu'on appelle la kafala. Vous ne pouvez pas sortir sans visa de sortie. Donc, son employeur qui, au surplus, ne le payait pas de ses salaires depuis un an et demi, lui a dit : "Tu renonces à tes salaires et je te donnerai ton visa." C'est ce qu'on appelle en droit français une extorsion de fonds."

Ça va être ça, la plainte ?

"Alors la plainte, ça va être escroquerie, parce qu'on a fait venir ce footballeur, on a cessé de l'employer, on a cessé de le payer. Ça va être extorsion de fonds. Et ça va être aussi travail dans des conditions inhumaines, à raison de ce système particulier qu'est la kafala. Trois autres Français sont dans cette situation là, vous le savez..."

Dont un qu'on a entendu sur Europe 1 il y a quelques jours...

"Voilà. Il y a un chef d'entreprise qui m'a appelé il y a quelques jours et qui m'a dit : "Si vous versez 200 000 euros, vous sortirez." "

Contre qui vous allez porter plainte, Frank Berton ?

"Contre les employeurs du footballeur. Alors c'est assez curieux, mais ses employeurs, c'est le chef d'état-major des armées, alors vous imaginez que ça ne passe pas très bien là-bas, et puis, de manière publique et médiatique, c'est aussi le frère de l'émir."

Le frère de l'émir du Qatar ?

"Oui, parce qu'il faut vous dire que l'ensemble des personnes qui sont ce qu'on appelle des sponsors - moi je préfère dire des parrains, sans connotation péjorative - sont, très souvent, des membres de la famille royale. Alors c'est vrai qu'il est difficile, sur le plan diplomatique, d'intervenir, pour nos amis français, là-bas."

Pourquoi ? Parce qu'on a trop d'intérêts aujourd'hui avec le Qatar, on n’arrive pas à parler d'égaux à égaux avec eux ?

"Oui, puis c'est délicat. Le président de la République y est allé au mois de juin dernier, il a pris connaissance de la situation de ces quatre Français. Donc je le redis : deux chefs d'entreprise, dont un en prison, un footballeur et un entraîneur. Depuis juin jusque septembre, il ne se passait rien. Alors, la menace de mes plaintes a fait bouger les choses. Et c'est pas seulement moi qui dénonce, c'est aussi des organisations telles que Human Rights Watch, les Nations unies qui, la semaine dernière rendent un rapport disant que c'est du servage moderne, finalement."

Cela dit, quand il est rentré la semaine dernière, Belounis, il a dit mot pour mot : "C'est important de le dire : je n'ai aucun souci avec le Qatar, c'était avec le club." Donc, pourquoi porter plainte contre le frère de l'émir ?

"Parce que, très probablement, c'est comme ça qu'il est présenté et je sais que ça gêne... Je vais vous dire quelque chose : Belounis a reçu hier, après que j'ai annoncé en conférence de presse que le frère de l'émir était publiquement présenté comme le propriétaire de ce club et que bien évidemment, j'envisageais que la justice lui demande : "Comment avez-vous pu exiger que ce footballeur, pour rentrer, pour avoir son tampon sur son passeport, puisse verser ou renoncer à une somme d'argent ?", Belounis a eu hier des menaces."

Des menaces ?

"Oui, venant du Qatar, qui lui dit : "Nous avions convenu qu'il n'y aurait pas de procédures qui seraient engagées en France, et que ce n'était pas concevable." "

Ce n'est pas une menace, c'est un rappel des termes du contrat qui a été signé. Elles sont où les menaces ?

"Oui, mais c'est un peu plus fort, en lui disant : "Ca ne peut pas se passer comme ça." Mais on est très prudent. Vous savez, je suis très prudent dans ce dossier. S'attaquer à la famille royale pour le compte de mes clients, ce n'est pas simplement un coup de publicité ou un procès contre le Qatar. Vous avez raison de citer ce qu'il vous dit : "mon adversaire n'est pas le Qatar." Il se trouve que l'adversaire, ce sont des sponsors. Ce sont des gens qui font du chantage à des tas de salariés, à des chefs d'entreprise, en leur disant : "Soit vous renoncez à vos salaires, soit vous ne sortez pas." C'est une privation de liberté fondée sur la kafala."

S'attaquer au Qatar quand on est un petit footballeur, qu'on connait les liens financiers avec la France, qu'on sait que le Qatar va organiser la coupe du monde de foot en 2022, c'est pas peine perdue, Frank Berton ?

"Non, parce qu'on a une justice indépendante."

Le dossier sera traité en France ?

"Oui, il sera plaidé en France, parce que les faits, même s'ils se sont déroulés là-bas, concernent un Français. Il peut saisir les juridictions françaises et on espère... Ecoutez, si le chef d'état-major de l'armée, propriétaire de ce club, reconnaît ou est interrogé et dise : "Oui, j'ai exigé que Belounis renonce à 150 000 euros de son salaire pour lui donner un tampon pour qu'il puisse enfin sortir", parce qu'il était bloqué là-bas depuis au moins une année avec sa femme et ses enfants, et bien il est normal que la justice puisse passer et le condamner."

Vous avez fait l'objet de pressions en France quand vous avez annoncé que vous portiez plainte contre un membre de la famille royale au Qatar ? Vous avez reçu des coups de fil ?

 

"Non, pas encore, mais peut-être que j'en aurai dans la journée ! Vous savez, le Quai d'Orsay dans cette affaire, s'est beaucoup investi ces dernières semaines et ces derniers mois. Je crois qu'il n'a pas pu faire seul, sans les autorités du Qatar, pour délivrer ces visas de sortie. Il y en a deux autres, dont un qui est en prison depuis le mois de septembre, ça devient délicat parce que les relations avec le Qatar sont bonnes, qu'il y a des investissements, et qu'économiquement il faut protéger ces investissements. Moi, je défends les droits de l'homme, vous savez."

Il n'y a pas une petite mode qui consiste à taper sur le Qatar ? Tout est mal au Qatar ? Vous dénoncez quoi ? Un état mafieux, une dictature ?

"Le système de kafala, qui existe dans deux pays là-bas…"

On rappelle, la kafala, c'est quand l'employeur détient le visa de sortie.

"Voilà, et vous ne pouvez pas sortir sans cet élément. Vous savez, hier, il y avait une conférence de Belounis à la fédération de football. Les footballeurs, en tout cas c'est annoncé et ce sera peut-être pour cette semaine, vont faire en sorte qu'il n'y ait pas de kafala pour eux. Ça paraît assez incroyable. On sait l'enjeu que revêt le football, mais moi je souhaite que ce soit pour tout le monde."

Elle sera déposée quand, cette plainte ?

"Elle sera déposée vendredi cette semaine, ou lundi en début de semaine prochaine, parce que j'attends des pièces des avocats de Belounis au Qatar."