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Chaque jour, Marion Lagardère scrute la presse papier et décrypte l'actualité.

"Quand j’y repense, en 2001, la fuite des Talibans face au américains représentait un immense espoir, des années en or. Nous allions enfin pouvoir vivre normalement, ici en Afghanistan. Mais aujourd’hui cet espoir a disparu. La fête est fini, et les Talibans sont de nouveau à nos portes". C’est le photographe de l’Agence France Presse, Shah Maraï, qui a écrit ces lignes. C’était en octobre 2016, sur le blog Making-Of de l’AFP Photo. Shah Maraï, chef du bureau de l’agence à Kaboul a été assassiné hier avec neuf autres journalistes dans le double attentat qui a frappé la capitale afghane. Et le site de l’AFP Photo republie ce matin son texte de 2016. Il raconte, les soubresauts, tour à tour d’espoir et de désillusion, qui marquent ces 20 dernières années. D’abord en 1998, quand il a commencé le photo-journalisme : "j’avais intérêt à être discret, dit-il, les Talibans détestaient la presse, il était interdit de photographier des êtres vivants, homme comme animaux". Alors il travaille en cachant son appareil Reflex dans un foulard enroulé autour de la main, et il envoie ses photos sans les signer, "par sécurité", dit-il. Des photos clandestines donc, prises à la volée, qui témoignent du quotidien sous les Talibans et que vous pouvez voir sur le site Making-Of, tout comme les suivantes, avec des cadres plus précis et le point fait sur les visages : celles prises après le départ des Talibans. Des jeunes qui fêtent la libération, des femmes se déplaçant sans hommes, d’autres lavant le linge à visage découvert. Et puis ces journalistes étrangers, arrivant en masse en Afghanistan après en avoir été chassé, "les hélicoptères arrivaient, bourrés de confrères, Kaboul était devenu le "journalistan". Pour nous, tout redevenait possible, fini les combats en ville, on pouvait se déplacer, voyager, la sécurité était assurée, et puis, en 2004, les Talibans sont revenus, ils ont commencé à s’étendre, comme un virus, et dans Kaboul, les attentats ont commencé, la fête était terminée. Aujourd’hui, ils sont de nouveau partout, écrit Shah Maraï, et nous, nous sommes la plupart du temps coincés, je n’ai plus grand-chose à montrer, les gens sont méfiants, voire agressifs quand ils voient l’appareil photo. Bien sûr la ville a changé, il n’y a plus de ruines et les boutiques sont pleines, mais il n’y a plus d’espoir. Je n’ose pas emmener mes enfants en balade. Ils passent leur journée enfermés à la maison et me font de la peine (…) mais chaque soir, je pense à la voiture piégée, au kamikaze qui va peut-être surgir. Je n’ai jamais senti si peu de perspectives et je ne vois pas d’issue. En Afghanistan, concluait-il en 2016, c’est le temps de l’angoisse". Shah Maraï, dont le texte, accompagné des photos, est à lire sur le site Making-Of de l’AFP. Et dont retrouve aussi le visage en première page du New York Times.

Ce double-attentat à Kaboul qui a donc tué 25 personnes qui ne fait pas la Une chez nous ce matin pour la simple raison qu’il n’y a pas de journaux.

Ça ne vous aura pas échappé, nous sommes le 1er mai, et la fête internationale des travailleurs est honorée par tous les quotidiens régionaux et nationaux. Pour avoir des nouvelles, c’est donc sur internet que ça se passe, même si là aussi, c’est service minimum. Exception faite notamment de Médiapart, qui publie la suite de son dossier sur les comptes de la campagne présidentielle d’Emmanuel Macron : factures à l’appui, le journaliste Antonn Rouget démontre que, pour la location d’une même salle de meeting, via le même organisateur d’évènements, GL Events, l’équipe du candidat Macron a bien bénéficié de ristournes allant de 30 à 100%, là où François Fillon et Benoit Hamon ont payé plein tarif. Reste à savoir si cette générosité est légale ou non ? D’après un professeur de droit interrogé sur le site de Marianne, ces ristournes relèvent d’une "zone grise", "pas vraiment irrégulière mais qui démontre un accommodement avec de code électoral". Ce dossier mis à part, le titre dominant ce matin, c’est le défilé du 1er mai : "marche à l’ombre pour les syndicats" en Une de Libération.fr, "manifestation sous tension" pour le Parisien.fr. "Un 1er mai encore une fois dispersé", note le seul journal imprimé ce mardi, en l’occurrence Le Monde daté du 2 mai. Le Monde qui fait sa Une sur l’étincelle qui a allumé le mouvement social : la réforme de la SNCF : "radiographie d’une France ferroviaire à deux vitesses". C’est un dossier très éclairant sur les conséquences des décisions prises ces dernières décennies par l’entreprise et par l’État : le tout TGV, la fermeture de petites lignes et le manque d’investissement pour entretenir celles qui restent. Carte et chiffres à l’appui. Il y a donc une France des TGV, une autre des TER et puis de grandes zones blanches, centre et sud-ouest principalement. Sans compter quelques incongruités. On apprend par exemple que qu’un Paris-Amiens est plus long aujourd’hui qu’en 1963. C’est donc dans le Monde. Et puis, si comme moi le réseau ferré vous passionne, vous pouvez lire aussi le dossier du Monde Diplomatique : "comment la France abandonne ses villes moyennes", illustration à Montluçon d’une France à deux vitesses.

Le Monde Diplomatique dont un autre titre barre la couverture "comment arrêter Facebook ?".

Nous vous en parlions ce lundi à travers un article du Figaro, reprendre la main sur ses données, sur les traces qu’on laisse sur Internet est quasiment mission impossible. Et c’est d’autant plus impossible que, comme le confirme Science & Vie, neurosciences à l’appui : "notre cerveau adore Facebook, Google, Instagram". Et oui, saviez-vous que les concepteurs de ces programmes les ont pensé spécifiquement pour "accaparer votre gyrus frontal inférieur" ? La zone de la récompense sociale, celle qui s’excite sur un like ? Idem pour le système limbique et l’amygdale qui s’activent dès que vous décidez de vous éloigner de votre téléphone ? Ou encore le cortex visuel qui perd la notion du temps en regardant défiler des vidéos en lecture automatique ? On vous passe les détails sur la perturbation du lobe pariétal, de l’aire tegmentale ventrale et du précunéus central. Mais, en gros, comme le résume Science & Vie, ça veut dire "qu’on est tous drogués aux écrans". C‘est un peu alarmiste, mais en ce 1er mai, finalement, ça tombe bien, c’est le jour idéal pour soigner son cerveau, sortir, aller chercher un brin de muguet et surtout lever les yeux de son écran.

Faire une pause dans le tourbillon du quotidien, c’est aussi ce que proposent pas mal de magazines.

Avec des revues qui prennent leurs distances avec ce qu’on appelle dans notre jargon "l’actu chaude". Le trimestriel Calme vous invite par exemple à changer de perspective, prendre du recul et à mieux observer ce qui se passe autour de soi. Le mensuel Philosophie interroge, lui, le culte de la perfection : "jusqu’où faut-il s’améliorer ?", titre le magazine, qu’est que cela signifie ? Et surtout pour quoi faire ? Il y a aussi la revue Happinez qui vous guide pour "prendre votre destin en main". Quelques pistes avec le Tao de Lao-Tseu en page 24 : "le destin, la voie, le chemin, c’est en le parcourant qu’on le trace". Ou comment dire que le destin n’existe pas a priori. Attention, il y a débat. Happinez qui vous suggère également le triptyque suivant pour tracer sereinement votre chemin : s’intéresser à l’autre, aimer et vivre le temps présent. Même suggestions dans le bimestriel Psychologie Positive : prendre le temps pour déterminer "ce que l’on veut, et ce que l’on peut". Ça a l’air banal mais ça n’est pas toujours simple. S’intéresser à l’autre, saisir le temps présent, faire le point, savoir prendre du champ. Autant de qualités rares qui fondent d’ailleurs le métier, l’art que pratiquait celui dont j’ai cité les mots au début de cette revue de presse : le photographe Shah Maraï tué hier à Kaboul, précisément pour avoir mis en pratique ces quatre principes, contre la peur et contre la terreur.

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