Christie Ravenne : "Les résidences privées pour séniors, un système mafieux"

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"Il n'y a pas de loi sur les résidences privées en France. Quand il n'y a pas de loi s'installe la loi de la jungle. Ce vide juridique est tragique : dans ces cas-là, ni la DDASS, ni l'inspection des fraudes, ni le Conseil général ne mettent les pieds ou le nez dans ces résidences", affirme Christie Ravenne, auteure de Gagatorium.

Ce matin à 7h45, Europe 1 recevait Christie Ravenne, octogénaire et auteur de « Gagatorium : quatre ans dans un mouroir doré » (Ed. Fayard), livre dans lequel elle dénonce les résidences privées pour seniors.

Ses principales déclarations :

 

Pourquoi avoir décidé de tenter l'expérience des résidences privées pour séniors ?

"J'étais très heureuse à Biarritz mais je voulais me rapprocher de mes quatre petits enfants à Brest. Ces résidences, j'y suis rentrée euphorique : le jour où j'ai visité, des gens qui avaient entre 60 et 70 ans dansaient dans le restaurant ! J'ai dit à la directrice qu'il y avait de l'ambiance chez elle. Elle a répondu : "Mais oui, il y a de l'ambiance !" J'avais moi 76 ans, j'ai trouvé ça sympa. J'ai appris après que c'était le club country du quartier qui venait une fois par trimestre faire sa BA, danser chez les vieux."

 

En vrai on ne s'amusait pas tous les jours...

"Non, on ne s'amusait pas tous les jours ! La moyenne d'âge était plus près de 85-90, la moitié était grabataire. Comme ce n'était pas médicalisé, ils crevaient en silence dans leur chambre. C'était très loin de ce que j'ai cru au départ."

"Au quotidien, ce n'était pas une résidence médicalisée : il n'y avait aucun service médical. Il fallait trouver infirmières et médecins à l'extérieur, il y avait seulement une hôtesse d'accueil à l'entrée qui éventuellement appelait SOS Médecins ou une ambulance. Il n'y avait aucun soin à l'intérieur. Il n'y avait pas non plus de femme de ménage ! J'avais une femme de ménage extérieure, que je payais à côté. On pouvait soit acheter, soit être locataire : j'ai fait une double bêtise, j'ai acheté deux appartements avec l'intention de louer le second en pensant que le loyer paierait les charges du premier ! Une bêtise : la dame qui louait l'appartement est morte au  bout d'un an, et après je n'ai jamais pu le louer ni le revendre. Je ne le savais pas au départ : les petits investisseurs de la région ne veulent plus s'engager dans des résidences de ce type où il n'y a aucun service mais où on paie des services qui n'existent pas !"

 

Après le décès de votre locataire, vous avez continué à payer chaque mois pour cet appartement vide ?

"J'ai continué à payer les charges, c'est légal, 500 euros par mois environ. Et autant de service !"

C'était quoi ces services ?

"C'était des services fantômes, comme le fantôme qui habitait mon appartement ! C'était d'abord le salaire de la directrice et de l'hôtesse d'accueil, et des activités plus ou moins bidons comme des goûters..."

 

C'est une arnaque légale ces résidences services ?

"Il n'y a pas de loi sur les résidences privées en France ! Quand il n'y a pas de loi s'installe la loi de la jungle. Ce vide juridique est tragique : dans ces cas-là, ni la DDASS, ni l'inspection des fraudes, ni le Conseil général ne mettent les pieds ou le nez dans ces résidences."

Ça vous a déprimé...

"Plus que ça ! J'y ai laissé ma santé et mon patrimoine ! Quand j'avais cet appartement vide, il fallait que je débourse 2.000 euros par mois, 1.000 pour mon appartement, 500 de charges, 500 de services, autant pour l'autre ! Ça a déprimé ma fille et mon gendre : ils ont quatre enfants, ils me disaient que si je mourrais demain ils se retrouveraient à devoir payer les deux appartements."

Elles auraient pu vous tuer, ces résidences ?

 

"J'y pensais, j'y pensais ! Disons que dans ces résidences services le suicide est une chose assez courante !"

Que vous avez constaté ?

"Oui ! Mais ce n'est pas dans les statistiques, car les hommes se mettent à boire et les vieilles dames refusent de manger, refusent le plateau qu’on leur apporte. Il fallait payer 1,50 euro pour le portage du plateau... Il fallait payer pour tout et tout le temps."

Vous avez pensé au suicide ?

"Oui ! Si je n'avais pas pu partir au bout de 4 ans… J'étais vraiment au bout du rouleau !"

Quand vous avez fini par revendre ces deux appartements, vous avez perdu de l'argent ?

"C'est pas tellement à la revente... Oui, j'ai baissé les prix, mais j'ai perdu surtout quand je payais 2.000 euros tous les mois de charges et services."

Que dites-vous aux personnes âgées et familles tentées par ces résidences services ?

"Faites attention : méfiez-vous du prix des services, c'est là qu'est le piège ! Il y a très peu de services. Essayez d'avoir des contrats s'il y en a, dans les résidences nouveau style dit-on. Insistez pour qu'en France on légifère là-dessus, il y a un projet de loi en cours. Que l'on contrôle ces résidences : il faut absolument les contrôler !"

 

Ces résidences ne servent qu'à faire du business sur le dos des vieux ?

"Absolument ! Dans mon livre, je n'ai pas hésité à parler d'un système mafieux ! Quand il y a un vide juridique, c'est la loi de la jungle : la mafia de l'or gris, la silver économie... C'est un marché juteux."