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Lundi, le Président de la république a reçu à l'Elysée les 150 membres de la Convention citoyenne, validant au passage une très large majorité de leurs propositions. Mais ce que retiens Nicolas Beytout, ce sont les messages distillés ça et là dans son discours par Emmanuel Macron à Edouard Philippe.

Retour avec vous sur le discours d’Emmanuel Macron devant les 150 membres de la Convention citoyenne. Il contenait, selon vous, une série de messages directement destinés au Premier ministre.

Vous connaissez ce que les anglo-saxons appellent le "body language", cette façon qu’on a d’exprimer par son comportement ou son attitude corporelle ses sentiments à l’égard de quelqu’un ou d’une situation. J’ai bien observé Edouard Philippe, lundi, pendant le discours du chef de l’Etat, et on ne peut pas dire qu’il avait le visage épanoui d’un homme transporté de joie par sa brillante victoire électorale de la veille, au Havre.

Certes, Edouard Philippe a dû passer une nuit courte et agitée à fêter son succès. Et puis, il est plutôt du genre british, tout en retenue. Mais tout de même, sourcils froncés, visage fermé. A ce point-là, c’était voyant.

Dû à quoi ? Un problème politique ? Un fossé qui se creuse entre les deux têtes de l’exécutif ? 

La période est évidemment particulière. Tout le monde est dans l’attente du remaniement, et Edouard Philippe ne sait toujours pas s’il restera. Dans ces cas-là, on scrute le moindre message. Et il y en avait, dans le discours d’Emmanuel Macron : sur la manière de gouverner, sur le fait de ne pas stigmatiser les gens, de ne pas les diviser, de ne pas les culpabiliser. Il faut écouter les gens, les embarquer dans la décision, sinon, dit Emmanuel Macron, ça ne marche pas. Depuis la crise des Gilets jaunes, lui pense avoir intégré cela dans son mode de gouvernement. Mais il estime aussi que Matignon est resté trop raide, trop bloqué, pas assez mobile ou rapide dans l’action.

Ce n’est pas un secret que, dans la gestion de la crise du Covid, Emmanuel Macron et Edouard Philippe ont eu des désaccords : sur la rigueur du confinement, la rapidité du déconfinement, la communication gouvernementale, leurs points de vue ont plusieurs fois divergé. Même chose sur les 80km/h : le Président a rappelé d’un air goguenard qu’il savait ce que l’inflexibilité de Matignon lui avait coûté en popularité : "des mois de travail qui s’abîment dans une polémique". Tout le monde a ri, sauf...

...Edouard Philippe. Et sur le fond des mesures, il y a aussi des divergences ? 

Ce qu’on comprend de ses déclarations (y compris à la mairie du Havre, au soir de sa réélection), c’est que le Premier ministre n’est pas un fan absolu de cette démocratie participative. Qu’il ne la place certainement pas à égalité avec la démocratie représentative, celle des élus du peuple, pas celle des gagnants d’un tirage au sort. Et qu’il est un peu inquiet de voir sur quel piédestal on installe cette Convention citoyenne, comme on la flatte, on la caresse dans le sens du poil, même lorsqu’elle propose des mesures coercitives qui peuvent être brutales.

C’est sûr, Emmanuel Macron est dans un tout autre état d’esprit. Et il a fait hier devant les "150" un exercice de pure politique, avec ce qu’il faut de démagogie. Il a, comme promis, transmis "sans filtre" les recommandations de la Convention au gouvernement et au Parlement (sauf trois ou quatre), à charge pour eux de se dépatouiller avec. Et il a en plus donné aux "150" un droit d’alerte, un droit de dénoncer le gouvernement si son action ne suivait pas. De quoi, quand on est Premier ministre, froncer les sourcils.