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SAISON 2020 - 2021, modifié à

Belle, cupide, se permettant de tromper son royal amant… Gabrielle d'Estrée, la maitresse d'Henri IV, est le profil type de la favorite dont l'influence s'est étendue bien au-delà de la chambre à coucher. Dans ce nouvel épisode du podcast Europe 1 Studio "Au cœur de l'Histoire", Jean des Cars vous raconte comment cette femme ambitieuse s'est hissée au plus près du pouvoir. 

Le 15 septembre 1594, Henri IV fait son entrée solennelle dans Paris accompagné d'une jeune femme de 21 ans dont les conseils ont contribué à son triomphe. Dans ce nouvel épisode du podcast Europe 1 Studio "Au cœur de l'histoire", Jean des Cars vous raconte les débuts mouvementés d'une idylle qui a pesé dans le destin de la France. 

Pour son entrée solennelle dans Paris, Henri IV associe sa favorite à son triomphe

Henri IV a mis bien du temps à entrer dans Paris. Lors des guerres de religion, dans la dernière partie du XVIe siècle, Henri de Navarre est le chef du parti protestant, donc l’ennemi du clan catholique. Dans un souci d’apaisement, Catherine de Médicis arrange le mariage de sa fille Marguerite avec lui. La sœur du roi Charles IX devient alors la célèbre reine Margot. A peine marié, Henri échappe de justesse aux massacres de la Saint-Barthélemy, le 25 août 1572.

Après la mort de Charles IX, son frère, Henri III, qui lui a succédé, s’inquiète des excès de la Ligue, le parti catholique animé par la puissante famille des Guise. Il fait assassiner leur chef, le duc de Guise, le 23 décembre 1588, au château de Blois. Après ce drame, Henri III et son beau frère mettent le siège devant Paris, aux mains de la Ligue, au printemps 1589.

L’assassinat du roi Henri III, en  août 1589, fait de Henri de Navarre le nouveau roi de France. Mais face à lui, la Ligue a pour candidat le cardinal de Bourbon. De son côté, le roi d’Espagne, Philippe II, exige la Couronne de France pour sa fille Isabelle… Pour beaucoup, le Béarnais n’est alors que le roi des Huguenots.

Ce n’est qu’après maintes péripéties que Henri IV réussit enfin, le 21 mars 1594, à entrer dans Paris et à entendre la messe à Notre-Dame. Une entrée, certes, mais une entrée peu gratifiante car les Parisiens ne lui témoignent pas un enthousiasme particulier.

Mais ses succès contre la Ligue vont lui permettre de programmer une nouvelle entrée dans Paris, solennelle et fastueuse, dans la soirée du 15 septembre 1594. A sept heures du soir, alors que la nuit commence à tomber, le roi Henri IV entre dans la capitale à la lueur des flambeaux, accompagné d’une suite magnifique. Cette fois, tous les Parisiens viennent l’acclamer.

Pour l’occasion, le roi porte un chapeau gris orné de son légendaire panache blanc. A quelque pas, devant lui, une somptueuse litière roule, encadrée par une compagnie d’archers. Dans cette litière, c’est Gabrielle d’Estrées, la favorite du roi, éblouissante dans une robe de satin blanc que décrit le chroniqueur Pierre de l’Estoile : "La jupe toute huppée de blanc et chargée de tant de perles et de pierreries si reluisantes qu’elles offusquaient la lueur des flambeaux."

Mademoiselle de Guise, bien qu’elle ne soit pas du tout son amie, la décrit ainsi : "Son visage était lisse et transparent comme une perle dont il avait la finesse et l’eau. Le satin blanc de sa robe paraissait noir à comparaison de la neige de son beau sein. Ses lèvres étaient couleur de rubis et ses yeux d’un bleu céleste, si luisants qu’on eut pu difficilement juger s’ils empruntaient au Soleil leur vive lumière ou si ce bel astre leur était redevable de sa clarté." On comprend pourquoi Henri IV est follement amoureux de sa maîtresse ! 

Si quelques Parisiens, en la voyant, disent : "C’est la putain du Roi !", ils sont, malgré tout, admiratifs de cette femme si belle et si honorée. 

Mais pourquoi Henri IV a-t-il mis en valeur, à ce point, sa favorite dans ce moment particulier qu’est son entrée solennelle dans Paris ? C’est qu’il lui doit beaucoup. Il y a quatre ans que Gabrielle d’Estrées est entrée dans la vie du monarque. Son attitude n’a pas toujours été irréprochable mais elle l’a parfois aidé à prendre les bonnes décisions… 

Gabrielle d'Estrées devient la maitresse d'Henri IV 

En 1591, le duc de Bellegarde, grand écuyer du roi, a l’imprudence de demander à Henri IV la permission de se rendre à Cœuvres, près de Soissons, pour y voir sa maîtresse, la belle mademoiselle Gabrielle d’Estrées. Il en décrit si bien les charmes que le roi décide de l’accompagner en Picardie. Ce n’est pas pour rien que Henri IV est surnommé "Le vert galant". Il est un grand amateur et consommateur de jolies femmes.

Gabrielle a 18 ans. Malgré son jeune âge, elle a déjà eu plusieurs amants, le riche financier Zamet, le cardinal de Guise, le duc de Longueville et le duc de Bellegarde. Ce dernier est bien obligé de la présenter au roi… Henri IV tombe immédiatement sous son charme, mais elle, non ! Habituée aux jeunes gens élégants et raffinés, elle est dégoûtée par ce roi plutôt sale et sentant l’ail.

Henri IV est vexé mais il ne renonce pas… Il va la voir à plusieurs reprises et finalement, il nomme son père, Antoine d’Estrées, membre de son Conseil privé. C’est un premier pas. L’homme s’installe à la cour avec Gabrielle et sa sœur. Mais la jeune femme ne cède toujours pas. Sa tante, Madame de Sourdis, indique au roi que s’il s’empare de Chartres et restitue à son mari son poste de gouverneur de la ville qu’il occupait avant que la Ligue ne s’en empare, Gabrielle sera à lui.

A ce moment là, Henri IV est sur le point de reprendre Rouen, prête à tomber, et la Normandie. Mais il est trop amoureux ! A la surprise générale, il change d’avis et décide de s’attaquer à Chartres. Le siège dure deux mois. La ville capitule le 10 avril 1591. Le soir même, Gabrielle est dans le lit du roi. 

Mais il a 20 ans de plus qu’elle, et le père de Gabrielle se met à jouer les offusqués ! Il rappelle que le roi est toujours marié à la reine Margot, bien qu’elle soit alors exilée à Usson, en Auvergne. Henri IV comprend que l’indignation d’Antoine d’Estrées s’estompera, sitôt qu’il lui aura trouvé une charge plus intéressante. Il prend donc aux Ligueurs la ville de Noyon et l’en nomme gouverneur. Gabrielle est enchantée ! 

Le roi peut à présent réaliser son projet de reprendre Rouen, mais c’est trop tard : les Rouennais ont eu le temps d’organiser leur défense. La ville était pourtant bien plus importante que Chartres, le monarque a eu tort de céder à sa maîtresse…

"Il faut que tout le monde vive !" 

Mais Il y a pire ! En août 1592, Henri IV, qui passe à Gabrielle tous ses caprices, apprend qu’elle continue à voir en secret son précédent amant, le duc de Bellegarde…  

En octobre 1592, la cour du roi "sans capitale" s’installe à Saint-Denis. De grandes fêtes sont données mais un mois plus tard, Henri IV repart en campagne. Le lendemain, le duc de Bellegarde fait son apparition. En fait, Gabrielle n’a cessé de l’aimer. Elle partage à nouveau son lit.

Un jour, le roi revient à l’improviste. Le duc se cache dans un placard ! Quelques jours plus tard, la même scène se reproduit. Cette-fois, l’homme se cache sous le lit ! Ce jour là, Henri IV n’est pas dupe. Face au comique de la situation, il fait passer au grand écuyer, sous le lit, une assiette de confiture, en lui lançant : "Tenez, il faut que tout le monde vive !" Puis, il s’en va en riant aux éclats !

Mais malgré son sens de l’humour, le roi réfléchit à une stratégie pour se débarrasser du duc de Bellegarde. Il trouve la solution : il va marier Gabrielle à un époux complaisant. Celui-ci est vite trouvé : c’est le sieur de Liancourt. Il est pauvre, malade, ridicule et a deux filles célibataires : il sera donc facile à manipuler. La favorite est folle de rage mais elle doit s’exécuter. Elle devient Madame de Liancourt le 10 juin 1593. Le souverain ne se rend pas au mariage. Gabrielle est désespérée. Heureusement, son nouveau mari ne parvient pas à consommer leur union… 

Henri IV a été bon stratège ! Pour amadouer sa maîtresse, très contrariée par le stratagème, il se montre généreux. Antoine d’Estrées est nommé gouverneur d’Ile-de-France et Gabrielle reçoit un important domaine. Comblée, elle accepte de rejoindre la couche royale. 

Bellegarde, lui, va quitter la cour. Mais à quelque temps de là, le roi intercepte une lettre envoyée par Gabrielle à Bellegarde. Henri IV est malheureux : pour la première fois de sa vie, il est jaloux ! A Gabrielle, il écrit une superbe lettre, lui avouant ses sentiments. Il lui déclare son amour et lui explique que cette situation lui est insupportable. L’ambitieuse Gabrielle rompt alors immédiatement avec Bellegarde. Elle est la maîtresse en titre du roi. Elle doit lui être fidèle, surtout si elle veut espérer se faire épouser un jour…

Le roi devient catholique

Depuis le début de l’année 1593, Henri IV réalise combien ses ennemis sont divisés. Le peuple est fatigué de cette guerre civile. Seule solution pour qu’il devienne roi de France : se convertir à la religion catholique. Même Sully, son principal conseiller, lui dit : "De vous conseiller d’aller à la messe, c’est chose que vous ne devez pas attendre de moi, étant de la religion protestante. Mais bien vous dirai-je que c’est là le plus prompt et le plus facile moyen pour renverser tous les monopoles et pour faire aller en fumée tous les plus malins projets…"

Le roi est très ébranlé par cette suggestion. Mais il a encore des scrupules à abandonner ses fidèles compagnons huguenots, qui l’ont suivi dans tous ses combats. C’est là que Gabrielle d’Estrées va intervenir. 

Depuis longtemps, elle espère se faire épouser par Henri IV. Celui-ci est toujours marié à Margot, qui vit dans son château d’Usson, plus ou moins assignée à résidence. Gabrielle sait que seul le pape peut annuler ce mariage. Mais pour faire sa demande à Rome, il faut que le souverain devienne catholique…

La favorite va se montrer très habile. Elle explique au roi que ces guerres interminables n’entraînent que la misère du peuple et qu’il ne peut passer le reste de ses jours les armes sur le dos, dans les fatigues, les tracas, les hasards, les embûches, loin du repos et des douceurs de la vie. 

Le 17 mai 1593, Henri IV fait savoir à son entourage qu’il désire se convertir à la religion catholique. Le 23 juillet, le monarque se rend à Saint-Denis. L’après-midi, il a une conférence importante avec les théologiens. Il pose de nombreuses questions sur le dogme, la vierge et le purgatoire. Les débats vont durer cinq heures. Très ému, le monarque déclare qu’il est suffisamment instruit pour devenir catholique : "Je mets aujourd’hui mon âme entre vos mains, je vous prie, prenez y garde, car là où vous me faites entrer, je n’en sortirai que par la mort. Cela, je vous le jure et proteste."

La cérémonie d’abjuration a lieu le dimanche 25 juillet. Dès l’aube, le peuple, venu de Paris où Henri IV ne peut pas entrer, encombre les rues de Saint-Denis, criant "Vive le roi !" 

Sur le seuil de l’église, l’évêque de Bourges l’attend :
- Qui êtes-vous ? 
- Je suis le roi.
- Que demandez-vous ?
- Je demande à être reçu au giron de l’église catholique, apostolique et romaine. Oui, je le veux et le désire.

Le 25 février 1594, le Roi se fait sacrer à Chartres mais Paris lui résiste toujours. Gabrielle d’Estrées va à nouveau intervenir. Elle dit au souverain : "Et si vous ameniez le Gouverneur de Paris à trahir la Ligue ?" Le roi n’avait envisagé qu’un siège et une capitulation. Gabrielle lui offrait une victoire sans canons, sans cavaliers, sans bataille. 

Henri IV envoie donc des agents secrets, et soudoie le gouverneur de Paris M. de Belin. Il est remplacé par M. de Brissac, on le soudoie aussi ! Le 21 mars, Brissac envoie les meilleures compagnies de la garnison de Paris à Pontoise, sous un prétexte futile. Aussitôt, Henri IV masse ses troupes dans le faubourg Saint-Honoré. Le 22 mars, à quatre heures du matin, M. de Brissac ouvre lui-même la Porte Neuve et l’armée royale entre dans la capitale. 

Pendant toute cette période, Gabrielle est enceinte. Elle accouche le 7 juin d’un gros garçon, prénommé César. Henri IV est dans une joie sans borne. C’est pour que Gabrielle soit totalement remise de ses couches que l’entrée solennelle, racontée au début de cet article, n’a eu lieu que le 15 septembre 1594. Gabrielle d’Estrée triomphe ! 

Quel rôle va-t-elle jouer maintenant, elle qui ne songe qu’à se faire épouser du roi ?

 

Références bibliographiques : 

Jean des Cars, La saga des Favorites (Perrin, 2013)

Guy Breton, Histoires d’amour de l’Histoire de France (François Beauval, 1965, réédition France-Empire 2013)

Duc de Lévis-Mirepoix, de l’Académie française, Henri IV, roi de France et de Navarre (Perrin, 1971)

 

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"Au cœur de l'histoire" est un podcast Europe 1 Studio

Auteur et présentation : Jean des Cars 
Chef de projet  : Timothée Magot
Réalisation : Jean-François Bussière
Diffusion et édition : Clémence Olivier
Graphisme : Europe 1 Studio