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Maud Descamps, édité par Rémi Duchemin
Pour beaucoup, une mise en service de la centrale nucléaire nouvelle génération en 2023 relève de l’utopie. Il reste énormément à faire, au point que l’hypothèse d’un arrêt du chantier est sur la table.
ENQUÊTE

Huit soudures à refaire, on pourrait se dire que ce n’est pas grand-chose. Et pourtant, cette exigence de l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) concernant l’EPR de Flamanville, afin que cette centrale nouvelle génération respecte les normes de sécurité, équivaut à des travaux titanesques. Au point que la livraison de l’installation, dans la Manche, est encore repoussée et la facture une nouvelle fois gonflée. Et sur place, il est même envisagé de tout casser.

"Des soudures très difficiles d’accès"

Car ces soudures, elles sont inaccessibles, coincées entre deux énormes coffrage en béton. "Il faut imaginer qu’il y a deux murs, entre les deux murs il y a à peu près 2,50 mètres et donc c’est une pièce métallique entre ces deux murs", explique Laurent Thieffry, le directeur du chantier de Flamanville. "Cette pièce métallique comporte elle-même deux soudures avec une bonne qualité. Par contre, elles ne respectent pas un référentiel de très haute qualité que s’était imposé EDF. EDF a proposé de le laisser en l’état, parce ce sont des soudures très difficiles d’accès". Sauf que l’ASN a tranché : il faut réparer.

Depuis trois semaines, EDF planche donc sur les différents scénarios de travaux. Ce sera présenté cet été au conseil d'administration. Plusieurs options sont sur la table : soit on répare sur place, soit on casse tout autour des soudures et on répare ailleurs qu'à Flamanville. Dans les deux cas, il y a un risque de fragiliser le reste de la structure. L'Autorité de sûreté nucléaire devra donc valider tout cela, et ça va prendre des mois. Difficile d'imaginer un début des travaux avant la fin de l'année.

Un scénario inédit : l'arrêt pur et simple du chantier

Mais attention, il y a aussi un scénario inédit, un scénario qui n'avait jamais été présenté au conseil d'administration : c'est l'arrêt pur et simple du chantier. L'EPR de Flamanville aurait dû ouvrir il y a sept ans et a déjà coûté 11 milliards d'euros, contre 3,5 prévus au départ. "Aujourd'hui, c'est devenu un tel bazar qu'on est bien obligé de prévoir aussi le scénario du pire", glisse un cadre d’EDF à Europe 1. C'est la piste la moins probable, mais elle est désormais sur la table, obligatoire au regard de l'importance des travaux.

Ce désastre, EDF veut tout faire pour l’éviter, et cela passera sans doute par un nouveau report. Que ce soit les cadres d'EDF les mieux renseignés ou les syndicats, tous disent la même chose : 2023, c'est quasi intenable. Et inutile, désormais, de tout faire pour tenir les délais. "Nous ne sommes plus à trois mois, six mois ou un an près. La question ne se pose pas comme ça", plaide le représentant CGT-EDF Philippe Page Le Mérour. "La question c’est 'Comment on réalise parfaitement ce qu’il reste à réaliser du point de vue technique pour pouvoir démontrer que l’EPR a de l’avenir sur le territoire national et ailleurs, et mettre la filière nucléaire sur des bons rails pour les décennies à venir ?"."

Un coût répercuté sur le consommateur ?

Sur le chantier, 4.000 personnes seront au chômage technique le temps des réparations. Bref, ce chantier, c'est "un cauchemar", pour reprendre l'expression d'un très proche de la direction d'EDF. Dans la même veine, un membre du gouvernement admet que "l'EPR de Flamanville, c'est déjà une "catastrophe industrielle".

Une catastrophe qui survient alors que la France doit fermer d'ici trois ans ses centrales à charbon, et d'ici un an les deux réacteurs de Fessenheim. Donc sans Flamanville, on va avoir du mal à produire assez d'électricité dans les années à venir. Autre risque : le coût de l'électricité. Il faudra bien que quelqu'un paye la facture de ces travaux et retards à répétition. Et cela pourrait bien être le consommateur...