Leur nom est associé à un combat, une lutte syndicale destinée à sauver une usine ou une entreprise menacée de fermeture. Mourad Rabhi pour Cellatex, Xavier Mathieu, délégué CGT de l'usine Continental de Clairoix, ou encore Edouard Martin, du site sidérurgique ArcelorMittal de Florange. Des militants locaux que s'arrachent les médias et qui sont amenés à dialoguer directement avec l'Etat, court-circuitant au passage les représentants des syndicats au niveau national.
"Ce n'est pas nouveau : les militants locaux sont plus légitimes aux yeux des salariés qui occupent la scène médiatique", prévient d'emblée Baptiste Giraud, maître de conférences en science politique à l’Université d’Aix-Marseille. "Quant aux directions nationales, on leur demande souvent de jouer l'apaisement." Une tendance nouvelle, toutefois, se dégage : "ces militants [locaux] prennent un peu plus d'autonomie par rapport à la direction nationale de leur syndicat", insiste Bernard Vivier, directeur de l'Institut supérieur du travail. "Ils n'ont pas le soutien de la direction nationale, voire le rejette. Cela devient un mouvement plus spontané mais aussi plus incontrôlé."
A la une des médias, ces figures locales permettent surtout d'incarner le conflit. "Il faut un récit et il faut quelqu'un qui porte ce récit", analyse Jean-Marie Charon, sociologue et spécialiste des médias. Comme avant eux Coluche pour les Restos du Cœur ou l'Abbé Pierre pour Emmaüs. Une nécessité accrue avec le développement des chaînes d'information en continu et d'Internet : "L'Abbé Pierre avait lancé son appel à la radio puis les médias avaient mouliné tout seuls. Maintenant, les leaders doivent continuer à occuper tout un espace médiatique", constate Jean-Marie Charon.
Un exemple, dès 1973, avec le conflit très médiatisé des Lip : les 1.100 ouvriers de l'entreprise horlogère menacée de fermeture sont notamment menés par Charles Piaget, syndicaliste CFTC.
>> Charles Piaget se félicite de la signature d'un accord en 1974 :
"Charles Piaget a tous les ingrédients : un parcours politique personnel, un charisme important et une capacité à mettre en forme un récit", commente Jean-Marie Charon. "Il rend compréhensible et diffusable ce qui est difficile à exprimer quand on est au cœur d'un conflit."
Même phénomène en 1992 lorsqu'un routier surnommé "Tarzan" devient porte-voix des chauffeurs routiers. "Un concours de circonstances", admet celui-ci, cité par France-Soir. "Je crois [que les journalistes] ont flashé sur moi. Avec ma boucle d’oreille, mes 135 kg et mes cheveux longs, j’avais un look qui leur plaisait."
Les Xavier Mathieu et Edouard Martin d'aujourd'hui sont donc les héritiers de ces figures de la lutte syndicale. "Ce sont des militants très expérimentés, qui savent s'exprimer dans les médias et qui maîtrisent bien le dossier et les arguments techniques", ajoute Baptiste Giraud.
De là à pousser la personnalisation du conflit à l'extrême ? Jean-Marie Charon met en garde : "c'est le rôle des médias de vérifier que le discours est crédible et représentatif." Ce n'était, par exemple, pas le cas avec le charismatique Roger Poletti, leader Force ouvrière des chauffeurs routiers. Sa voix n'était celle que d'une toute petite partie de la profession, poussant dans l'ombre Joël Le Coq, leader CFDT et représentant de la majorité des routiers…