Anne Goscinny : le deuil de son père ? Ce serait "accepter l’inacceptable"

Anne Goscinny.
Anne Goscinny. © JEREMY LEMPIN / AFP
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Aurélie Dupuy , modifié à
Romancière et gestionnaire de l'empire culturel du scénariste de BD René Goscinny, sa fille Anne était l'invitée d'Isabelle Morizet dimanche sur Europe 1.
INTERVIEW

Anne Goscinny n'a pas fait le deuil de son père. Et peut-être ne le souhaite-t-elle pas. En tout état de cause, elle ne le peut pas. "Je ne crois pas qu’on puisse accepter l’inacceptable," souffle-t-elle au micro d'isabelle Morizet, dimanche, dans Il n'y a pas qu'une vie dans la vie. Romancière, mariée et mère de deux enfants, elle a d'ailleurs gardé le nom de ce père parti trop tôt, René Goscinny dont elle gère l'empire en fille unique et adorée, malgré la présence de "frères de papier" tels que Lucky Luke, Asterix ou Iznogoud.

Un père partit trop tôt... Anne devient orpheline à 9 ans. La femme qu'elle est devenue raconte ce jour funeste d'enfance. René Gosciny part faire un test d’effort chez son cardiologue. Il se sent mal, mais le médecin lui demande de pédaler encore 15 secondes. 15 secondes fatales. La petite fille d'alors attend de devenir une jeune femme pour se confronter au médecin. A 18 ans, elle fait irruption dans son cabinet, habitée de rage et de chagrin.

"Ma mère ne s'en est jamais remise". Cet épisode, elle le raconte dans un de ses livres, Le bruit des clés. "J’ai attendu d’être majeure. Je voulais le voir, lui dire à quel point son erreur, sa bêtise, avait mis la vie de ma mère en l’air. J’étais plus là pour elle que pour moi. Moi, j’avais conscience que j’avais la vie devant moi et que tout était à construire, or, elle, a perdu son mari, l’homme de sa vie qu’elle n’a jamais remplacé. Elle a 35 ans et elle ne s’en est jamais remise." C’est pour ça qu’Anne vient avec un grand manteau et qu’elle fait croire que dans l’une des deux poches, il y a un flingue, qu’elle n’a rien à perdre et qu’elle va faire à la famille de ce médecin ce que lui a fait. "Je crois qu’il a eu le temps d’avoir très peur."

"Vous devriez me remercier". Elle entend quand même trois phrases du médecin : "J’attendais ce moment" ; "Vous devriez presque me remercier parce qu’il aurait pu mourir d’un infarctus en voiture, avec vous derrière et votre mère à côté." Et enfin : "Je n’ai jamais reçu aucun honoraire de votre famille."

"Des personnages qui n'auront rien à voir avec ce que j'ai vécu". Si son père "avait vécu", lui qui a le mot "écrivain" plutôt que scénariste gravé pour épitaphe, aurait sans doute été attiré par le cinéma d'animation ou le spectacle, pense-t-elle. Anne est elle même romancière, en ayant toujours écrit mais en ayant longtemps attendu de publier. "Quand on est la fille de Mozart, pourquoi se mettre au requiem ?"

Le 13 avril, son sixième livre, Le sommeil le plus doux, sort aux éditions Grasset. Aurait-elle opté pour un autre aiguillage professionnel sans cette figure paternelle omniprésente ? "Je pense que j’aurai aimé la littérature comme je l’aime. Est-ce que j’aurais osé écrire ?", se demande-t-elle pourtant. Ce sixième ouvrage se classe dans la catégorie des romans autobiographiques. Un jour, elle assure qu'elle le fera, elle arrivera à créer "des personnage qui n’auront rien à voir avec ce qu'[elle] a vécu". A 48 ans, elle estime avoir trente ans pour le faire.

>> Chaque dimanche, dans "Il n'y a pas qu'une vie", de 15h à 16h, Isabelle Morizet vous donne rendez-vous pour une heure en tête à tête avec des invités d’horizons différents (acteurs, chanteurs, écrivains…) pour comprendre les grandes étapes de leur vie personnelle et professionnelle.