"Des zones de non-droit pour l’information"

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Aurélie Frex , modifié à
Après la déprogrammation d’un documentaire sur Arte mardi, son producteur est "choqué".

Le documentaire La Cité du mâle, tourné à Vitry-sur-Seine, devait être diffusé mardi sur Arte. Réalisé par Cathy Sanchez, il a été tourné là où Sohane, jeune fille de 17 ans, a été brûlée vive dans un local à poubelles, en 2002. Ce sujet de 50 minutes, qui donnait un "coup de projecteur sur les agressions machistes dans les cités", comme le présente la chaîne, a été déprogrammé en dernière minute.

"Une personne avec qui on avait travaillé pour préparer ce sujet est venue dans l’après-midi voir notre rédacteur en chef (…) Elle a commencé à regarder le film, et au bout de cinq minutes elle a été prise de panique, elle a eu peur de représailles sur elle-même et sur sa famille", a raconté Daniel Leconte, producteur du documentaire, interrogé par Europe1.fr.

C’est alors qu’il a orienté la personne vers Arte, à même de prendre une décision. "Elle a demandé à ce que le film ne passe pas, la chaîne a décidé de déprogrammer le documentaire parce qu’il y avait un risque pour elle, et qu’elle n’avait pas le temps de vérifier si c’était vrai ou pas", a ajouté Daniel Leconte. Une déprogrammation destinée à prendre les précautions nécessaires pour éventuelle diffusion donc : "je souhaite une rediffusion en l’état, on ne le modifiera que si un extrait en particulier représente un danger pour une personne".

Ecoutez-le :

Des témoignages à visage découvert

Dans ce documentaire, dont Rue89 a diffusé des extraits, les personnes interrogées témoignent à visage découvert. "A part une ou deux personnes qui sont floutées, toutes les personnes qui parlent dans ce film ont signé un accord pour que leurs propos soient repris", a précisé le producteur. "C’est l’inverse des images volées, nous y allons à visage découvert", a-t-il insisté. Le travail a duré six à huit mois, "le temps de gagner la confiance des gens".

Regardez un extrait :

"On n’est pas dans une république bananière"

Cette déprogrammation est un fait rarissime. "Je peux vous dire que ça n’arrive pas tous les jours. La dernière fois, c’était en 1982, j’avais tourné clandestinement un reportage en URSS, il n’est pas passé sur France 2", se souvient Daniel Leconte, qui se dit "inquiet" sur le métier. "Une trentaine d’années après on se retrouve avec un film interdit à la télévision parce qu’il y a des gens qui menacent des personnes.

"Ca m’inquiète, oui, sur le fait qu’on n’ait pas traité ça avant, que ce soit les politiques ou les journalistes", confie le fondateur de Doc en Stock. "Il y avait des zones de non-droit où les policiers ne pénétraient pas, il y a maintenant des zones où l'information ne pénètre pas. Je suis assez choqué par ça", a-t-il ajouté. "Il faut prendre conscience que ça n’est pas possible, nous ne sommes pas dans une république bananière."

Le producteur se dit "solidaire" avec la chaîne, surtout à partir du moment où la diffusion représentait "un danger". Du côté d’Arte, on insiste sur le manque de temps entre l’alerte et la date de diffusion prévue. "Ca nous arrive régulièrement que des gens se disent en danger. En général, on a le temps de modifier le sujet pour qu’il ne représente plus un danger, mais là c’était trop tard", a expliqué le service de presse d’Arte, joint par Europe1.fr.