États-Unis : la neutralité du net en danger ?

Aujourd'hui, Internet est en accès libre pour tout le monde.
Aujourd'hui, Internet est en accès libre pour tout le monde. © DAMIEN MEYER / AFP
  • Copié
, modifié à
L’autorité américaine de régulation des télécommunications envisage très sérieusement de remettre en cause le principe de neutralité du net, ce qui inquiète les internautes.

Depuis deux jours, les internautes américains sont en émoi, inquiets de voir la neutralité du net, principe qui garantit un libre accès à tous au web, disparaître chez eux. La Commission fédérale des communications (FCC), qui régule le secteur américain des télécommunications, projette en effet d'annuler des mesures de 2015 destinées à assurer que les fournisseurs d'accès traitent tous les services en ligne de la même manière. Une remise en cause d’un des principes fondateurs d’Internet.

La neutralité du net, c’est quoi ?

La neutralité du net est un des grands principes qui régit le web, établissant une stricte égalité sur la toile. Ce principe exclut toute discrimination à l’égard de la source, de la destination et du contenu des données échangées sur Internet. Autrement dit, chaque internaute a droit à un même accès à Internet, sans restriction (exception faite de la qualité locale de son réseau qui dépend des infrastructures). Là où la neutralité du net est respectée, il ne peut y avoir de gestion du trafic, de la part de l’État ou des fournisseurs d’accès.

Les partisans de la neutralité du net craignent que, sans elle, les opérateurs ne créent un "Internet à deux vitesses" en faisant payer pour un débit plus rapide ou en bloquant certains services leur faisant concurrence comme la vidéo à la demande. Mais pour ses détracteurs, elle assimile les opérateurs à des services publics et décourage les investissements.

Pourquoi la neutralité est-elle menacée aux États-Unis ?

Le président de la Commission fédérale des communications (FCC) Ajit Pai a présenté une directive intitulée "Restaurer la liberté d'Internet" qui sera soumise au vote lors d'une réunion de la FCC le 14 décembre. Elle doit annihiler une mesure de l'administration démocrate de Barack Obama, prise début 2015, et qui assure que l’Internet est considéré comme un "bien public" aux États-Unis.

Ajit Pai souhaite libérer Internet de ces règles pour encourager son développement. Il a ainsi assuré que son projet allait permettre de retrouver l'"approche réglementaire légère" qui a permis à Internet de s'épanouir. "J'ai partagé avec mes collègues un projet de directive qui abandonnerait cette approche défaillante et rétablirait le consensus durable qui a bien servi les consommateurs pendant des décennies", a-t-il expliqué, dans un communiqué. "Avec ma proposition, le gouvernement fédéral arrêtera de faire de la microgestion d'Internet".

Comment est-on passé, en à peine deux ans, d’une situation à son exact contraire ? La réponse tient en deux mots : Donald Trump.  Dès sa prise de fonctions, le président a remplacé l’ancien patron de la FCC, Tom Wheeler, partisan de la neutralité du net, par Ajit Pai, proche des Républicains et qui est passé par Verizon, un des plus gros fournisseurs d’accès américain. Trump, ainsi que le Congrès, à majorité républicaine, devrait approuver la nouvelle réglementation de la FCC.

Comment se positionnent les différents acteurs ?

Les fournisseurs d’accès américains se frottent les mains à l’idée de voir la neutralité du net abolie. "Le retrait de régulations obsolètes et restrictives ouvrira la voie à des investissements dans le réseau haut débit, l'expansion et la modernisation", a salué le directeur exécutif de l'organisation USTelecom, Jonathan Spalter. Grâce au projet de la FCC, Verizon, AT&T et autres Comcast pourront commercialiser des offres avec de nouveaux services, comme un accès prioritaire au réseau, faire payer plus ceux qui consomment plus de bande passante ou encore "fractionner" le Web en plusieurs offres (simple navigation, échange de données, vidéo à la demande…).

En revanche, la Silicon Valley est vent debout contre le projet de la FCC et défend sa vision libérale d’Internet. "Les consommateurs ont peu de choix en matière de fournisseurs d’accès, et ces derniers ne devraient pas avoir le droit d’utiliser leur position de garde-barrière pour être en position de discriminer des sites ou des applications", déclare l’Internet association, qui regroupe les géants du web, dans un communiqué. Certaines entreprises, notamment Netflix, s’insurgent car la décision de la FCC pourrait les obliger à payer les câblo-opérateurs pour obtenir une connexion rapide pour leurs clients.

Quant aux consommateurs, ils semblent être les perdants. En 2015, les internautes américains s’étaient massivement mobilisés pour inciter le gouvernement à graver la neutralité du net dans la loi. Pour Matt Wood, de l'association de consommateurs Free Press, la fin de la neutralité du net représente un "cadeau géant à quelques conglomérats" qui contrôlent le haut débit. "Les entreprises les plus détestées et les plus mal notées vont être libres de bloquer, d'étrangler ou de faire de la discrimination contre votre voix sur Internet si le président de la FCC obtient ce qu'il veut", a-t-il estimé.

Et en France, y a-t-il débat ?

En France, la neutralité du net a été inscrite dans la loi en octobre 2016, en application du règlement européen. Même si les États-Unis sont souvent prescripteurs en matière d’innovation numérique, le risque de voir ce principe remis en cause chez nous est minime, à l’heure actuelle. Ce qui n’empêche pas la Quadrature du Net, une association de défense des libertés sur Internet, de rester vigilante.

Dans un rapport publié en mai, elle s’inquiète qu’"en matière de vidéo à la demande, certains opérateurs profitent de leur situation pour proposer leur propre offre, ou celle d'un partenaire, favorisant le trafic de ce service". De même, elle surveille "le développement de gros groupes possédant à la fois le réseau, des services culturels et des médias et le développement d'offres intégrant ces divers services, qui posent la question de la liberté d'expression et du droit d'accès à l'information".