Câbles sous-marins : on a visité l'ambulance d'Internet en mer

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© François Geffrier / Europe 1
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Francois Geffrier , modifié à
Europe 1 a pu visiter le navire câblier d'Orange Marine. Il est chargé de réparer et de déployer les câbles sous-marins indispensables au bon fonctionnement d'Internet.
REPORTAGE

Sans eux, pas d’internet entre l’Europe et les Etats-Unis. C'est grâce à eux que transitent vos vidéos YouTube et vos statuts Facebook. Eux, ce sont ces longs tuyaux sous-marins, des câbles de fibre optique relient les continents entre eux, posés au fond de l’eau et entretenus par des navires spéciaux, les câbliers. Europe 1 a pu visiter l’un d’entre eux à Brest. Il part dimanche installer un câble de 1.700 km pour relier la Guyane à la Martinique.

Une petite usine flottante

C’est une petite usine flottante. Soixante-cinq membres d’équipage sont présents sur ce gros bateau blanc de 100 mètres de long sur 22 mètres de large. Amarré à Brest, son port d’attache, il doit être capable d’appareiller en moins de 24 heures, dès qu’il reçoit une alerte. Son rôle principal : réparer les câbles de fibre optique installés au fond des océans.

Lointains descendants du télégraphe déployé d’un continent à l’autre au XIXe siècle, les câbles de fibre optique forment aujourd’hui les autoroutes d’internet. "Que ce soit Google ou Facebook, tous ces grands fournisseurs de services ont leurs centres de calculs (data center, ndlr) dispersés aux quatre coins du monde", explique Didier Dillard, directeur général d’Orange Marine. "Donc à chaque fois que vous vous connectez sur YouTube ou autre, il y a une très forte probabilité pour que vous soyez connectés sur un serveur qui est de l’autre côté d’un océan, et que vous passiez par un câble sous-marin", poursuit-il. Et même si elle est très liée au boom d'Internet, cette activité n'a rien de nouveau pour Orange : "pour nous c’est une activité traditionnelle. Les PTT avaient déjà des navires câbliers depuis la première moitié du XXe siècle".

Des câbles essentiels au fonctionnement d'Internet

Tous ces câbles sont vitaux pour le bon fonctionnement du réseau mondial, mais ils sont aussi fragiles. Leur réparation est l'une des mission de ces bateaux. Pour parer à toute éventualité, le Pierre-de-Fermat, l’un des six navires câbliers de la flotte d’Orange Marine, emporte dans ses cuves un câble d’à peine 14 mm de diamètre. Une taille suffisante pour transporter de la donnée à des débits de plusieurs gigabits par seconde, mais qui ne résiste pas à un choc ou une pression trop forte.

IMG_3183 câble dans la cuve

"On revient d’une mission dans le canal de Bristol, c’était il y a quelques jours", raconte le commandant du Pierre-de-Fermat, Hugo Plantet. "Un câble entre la Cornouaille britannique et le pays de Galles était coupé. Un bateau a attrapé le câble avec son ancre et l’a cassé net. Nous sommes partis d’ici et en une vingtaine d’heures on était sur zone. On a mis quatre jours à faire la réparation et on est revenus dans la foulée", indique-t-il. Les ancres baladeuses ou les chaluts de pêcheurs qui s’emmêlent sont les principaux ennemis des câbles sous-marins. Conçus pour fonctionner vingt-cinq ans, ils peuvent être réparés "plusieurs dizaines de fois", confirme le chef de mission d’Orange Marine, Claude Le Maguer. "On a un câble entre l’Allemagne et la Hollande qui en est à sa quatre-vingt-cinquième réparation".

Un robot sous-marin à la manœuvre

À chaque mission, le procédé est le même. L’équipage doit d’abord localiser précisément la cassure du câble. Pour cela, le chef de mission dispose d’une cartographie mondiale des câbles sous-marins. "Ici, sur des logiciels, on a tous les positionnements des câbles. Nous avons une des plus grosses bases de données au monde en termes de câbles sous-marin", précise Claude Le Maguer. Pour faire la réparation, le navire vient se placer juste au-dessus de la zone. Fleuron technologique à 60 millions d’euros, ce bateau est équipé d’un système de pilote automatique nommé "dynamic positionning" pour ne pas dériver pendant la manœuvre de réparation, grâce à un GPS très précis et à des hélices orientables à 360°.

IMG_3164 cartes câbles

Puis un gros robot sous-marin est mis à l’eau, pour une première inspection du défaut. L’engin est équipé de cinq caméras et de lampes pour éclairer les fonds marins les plus profonds. Ce "ROV" (remotely-operated vehicle, en bon français, engin téléguidé) peut être employé jusqu’à 2.000 mètres de profondeur. Au-delà, malgré l’épaisseur de son blindage, la pression de l’eau est trop forte. Commandé par un joystick et quelques simples boutons depuis une petite salle du navire, le robot va couper proprement le câble endommagé, avec un cutter placé au bout d’un bras articulé. Puis il attrape et remonte à la surface les deux bouts du câble à réparer.

Une fois à bord du navire, le câble sectionné est dénudé par des techniciens pour être ressoudé. La gaine en polyéthylène est retirée sur quelques centimètres. Les fibres optiques sont placées dans une machine qui réalise la soudure automatiquement. Puis on consolide la soudure en l’enrobant d’un revêtement protecteur. Cette opération de jointage et très délicate, et peut prendre quinze à vingt heures, car chaque câble renferme jusqu’à 144 fibres. Une fois réparé, le câble est délicatement redéposé au fond de l’eau lors d’une manœuvre qui nécessite à nouveau le robot sous-marin.

IMG_3210 robot

Le câble ne peut en effet pas simplement être posé au fond de la mer. Pour éviter d’être de nouveau cassé ou d’être en contact avec la faune des océans, il doit être "ensouillé", c’est-à-dire recouvert par un mètre de sable ou de sédiments des fonds marins. Le robot sous-marin enclenche des pompes pour projeter de l’eau vers le fond à une puissance telle que cela crée comme une tranchée, dans laquelle vient se déposer le câble, par la seule force de la gravité.

Un nouveau câble à installer

La liaison est rétablie, tout fonctionne à nouveau, mission accomplie. Le Pierre-de-Fermat peut retourner à Brest jusqu’à sa prochaine mission. Il doit appareiller le 15 juillet. Cette fois, pas question de réparation, mais du déploiement d’un câble flambant neuf nommé Kanawa, une liaison entre la Martinique et la Guyane. "C’est un câble qui fait 1.700 km", précise Didier Dillard, le directeur général d’Orange Marine. "Il permettra à la Guyane de bénéficier d’un deuxième câble sous-marin de très haute capacité, pour se relier au reste du monde. Aujourd’hui, la Guyane est relativement bien connectée, avec un câble qui s’appelle Americas 2. Sauf que ça peut arriver qu’il soit en défaut, et là il peut y avoir des petites perturbations pour les Guyanais".

Reste une question : que deviennent les anciens câbles une fois devenus obsolètes ? "Sur nos cartes, on voit les anciens, ceux abandonnés, que ce soit des câbles coaxiaux ou télégraphiques", explique le chef de mission Claude Le Maguer. "Les vieux câbles sont toujours au fond de la mer, parfois ils nous gênent, d’ailleurs", admet-il. Didier Dillard, le directeur général d’Orange Marine précise : "un câble sous-marin est censé tenir techniquement vingt-cinq ans. Mais on les renouvelle plus fréquemment que vingt-cinq ans parce que la technologie évolue plus vite". Certaines entreprises, comme ASN (Alcatel Submarine Networks) se sont spécialisées dans la récupération des vieux câbles, recyclant le plastique, l'acier et le cuivre qu’ils contiennent.