Thomas Voeckler, pour l'amour du Tour

En 2011, Thomas Voeckler avait réalisé la meilleure saison de sa carrière, en restant maillot jaune pendant dix jours, finissant finalement quatrième du Tour.
En 2011, Thomas Voeckler avait réalisé la meilleure saison de sa carrière, en restant maillot jaune pendant dix jours, finissant finalement quatrième du Tour. © PASCAL PAVANI / AFP
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Chouchou du public français,  le coureur à la langue pendue prendra le départ de son tout dernier Tour de France, samedi. À 38 ans, il emporte dans sa roue un style inimitable et une détermination à toute épreuve.

8 juillet 2004, cinquième étape du Tour de France. Sur le bord de la route, la couleur des parapluies tranche avec la grisaille d'un ciel chargé de nuages. Thomas Voeckler, lui, passe au-dessus du vent. Après une folle échappée de 184 km, le jeune Alsacien de 25 ans troque à Chartres sa tunique bleu-blanc-rouge pour un maillot jaune surprise. "Vous verrez, il deviendra rapidement emblématique", prévient alors le directeur sportif de son équipe, Jean-René Bernaudeau. Il ne s'était pas trompé. Treize ans plus tard, alors que Thomas Voeckler s'apprête à disputer son tout dernier Tour, une page se tourne dans le grand livre du cyclisme français. Tant par ses performances que par son style et son tempérament, le coureur y a assurément inscrit son nom en lettres capitales.

Pas le meilleur, pas le plus beau, mais le plus emballant. Que les choses soient claires. Thomas Voeckler n'est pas de la trempe d'un Bernard Hinault ou d'un Jacques Anquetil, tous deux vainqueurs de la Grande Boucle à cinq reprises. Non. Le natif de Schiltigheim, dans le Bas-Rhin, est un dur au mal, un baroudeur, avec toute la générosité que cela implique. Il n'y a qu'à l'observer faire valser son vélo dans tous les sens, les joues pleines et la langue pendue : Thomas Voeckler, c'est l'émotion caractérisée. Que cela plaise ou non. "Pour quelqu’un assis dans son canapé, je peux passer pour un guignol. Ce n’est pas esthétique, mais les fois où on me voit grimacer, cela marche plutôt pas mal. (…) On voit parfois des coureurs, style robot, avec casque et lunettes, faire attention à ne pas pédaler un poil de travers parce que ce ne sera pas beau à la caméra. C’est ma façon de me faire mal", confiait-il l'an passé au Figaro.

Entendu sur europe1 :
Depuis 2004, je suis devenu un homme du Tour

Ce qui le caractérise ? "En premier, l'intelligence de course. En second, le sens du spectacle, pour régaler le public et finalement, pour faire du bien au cyclisme", décrit Bernard Thévenet, ancien double vainqueur du Tour, sur Europe 1.

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© JOEL SAGET / AFP

Symbole du dépassement de soi,  Voeckler pousse sur les pédales comme il attaque les descentes et lance les offensives : avec ses tripes. Comme lorsqu'il se bat comme un damné, en 2004, pour conserver son maillot jaune au plateau de Beille, face à la machine Lance Armstrong. Dans les Pyrénées, Voeckler gagne alors 22 secondes de sursis, mais surtout l'amour du public. "Depuis 2004, je suis devenu un homme du Tour", avoue-t-il au micro d'Europe 1.

"Avec le recul, c’est le petit Français qui se bat avec ses moyens face au méchant Américain qui gagne tout avec sa grosse armada. Gagner une course et conserver un maillot jaune, c’est une chose, mais dans ces conditions, après l’affaire Festina (l'affaire de dopage qui a secoué le monde du cyclisme en 1998, ndlr), qui n’était pas la seule équipe à ne pas respecter les règles, avec Armstrong qui cristallisait les soupçons, je suis convaincu que c’est ce qui a rapproché les Français de mon personnage", se remémore-t-il encore dans les colonnes de L'Alsace.

Un caractère bien trempé. Ce qui plaît chez lui, c'est donc à la fois son côté authentique et son énergie débordante, loin de l'image mécanique et réfléchie que peut laisser transparaître aujourd'hui un coureur comme Romain Bardet, pourtant deuxième au général l'an passé et meilleure chance tricolore lors des trois semaines à venir. Thomas Voeckler n'a d'ailleurs jamais eu sa langue dans sa poche. Ni quand il s'agit de parler dopage – loin pour autant de se placer en victime – ni, dans un autre style, quand il s'en prend à ses partenaires, en 2011, coupables à son goût d'avancer trop vite dans l'ascension du Galibier. 

 

Voire quand il recadre sévèrement un spectateur le traitant de fainéant en 2014 :

 

Le peloton le hait, il n'en a cure. Adoré du grand public, le coureur n'a pourtant jamais fait l'unanimité dans le cœur de ses confrères. Au fil de ses victoires, beaucoup de ses adversaires ont appris à se méfier de son sens de la mise en scène. "Sur dix coureurs dans le peloton, neuf ne m'apprécient pas. J'ai compris ça très tôt, dès 2005", avoue-t-il en 2012 dans un long entretien à L'Équipe. "L'année précédente, j'avais porté le maillot jaune pendant dix jours sur le Tour de France, mais eux estimaient que sportivement je ne méritais pas tout cet intérêt. Je l'usurpais. Il y a un peu de jalousie dans tout ça", relativise-t-il aujourd'hui, assumant avec fierté son statut de chouchou.

Par le passé, certains de ses confrères étrangers l'ont même rebaptisé Thomas "Fuckler". Pas besoin de préciser que ce surnom n'a rien d'affectif. Une inimitié que lui ont même parfois vouée quelques-uns de ses compatriotes, à l'image de son ex-coéquipier Jérôme Pineau. "T. Voeckler show 1er épisode !!! pfff", avait notamment tweeté en 2012 ce désormais retraité du cyclisme français, à l'issue du chrono inaugural du Paris-Nice. Il faut dire que Thomas Voeckler a souvent tiré à lui toute la couverture médiatique. Mais sans ne jamais rien voler à personne. Ses performances parlent pour lui. 

Une longue et belle carrière. Car s'il a su s'attirer les faveurs des Français, ce n'est pas uniquement grâce à son style. En 2004, "Ti-Blanc", comme il est surnommé depuis des débuts en Martinique, parvient à conserver son maillot jaune pendant dix jours. Mais tout le monde savait très bien qu'Armstrong allait finir par reprendre son bien avant les Champs-Élysées.  Ce n'est que quelques années plus tard que Voeckler parvient à donner un réel crédit sportif à sa popularité. D'abord avec deux victoires d'étapes en 2009 et 2010. Puis, en 2011, avec à nouveau dix jours passés en jaune… Jusqu'à trois jours de l'arrivée. Le point d'orgue de sa longue carrière.

" Je veux être acteur de ce dernier Tour, tout simplement "

Et d'enchaîner l'année suivante avec le maillot à pois du meilleur grimpeur et deux nouvelles victoires d'étapes à son tableau de chasse. Sans compter ses succès sur le Grand Prix de Plouay en 2007, au Grand Prix de Québec en 2010, ses deux victoires d'étapes sur le Paris-Nice en 2011 et une lors du Critérium du Dauphiné en 2013. Sans oublier, non plus, ses deux titres de champion de France (2004 et 2010) ou ses victoires sur le Tour La Provence et le Tour de Yorkshire l'an passé. Raymond Poulidor, lui, n’a jamais porté le maillot jaune. Et Richard Virenque n’a jamais été champion de France. Au moins pour cela, Thomas Voeckler mérite que son nom soit inscrit au panthéon des cyclistes français.

Cette année, pour  sa der', l'Alsacien entend bien partir la tête haute. "Je veux être acteur de ce dernier Tour, tout simplement. J'aurai réussi si, au moment de franchir la ligne d'arrivée sur les Champs, je n'ai aucun regret", a-t-il déjà lancé. Acteur du Tour, il l'a toujours été, et il continuera de l'être. Après avoir raccroché le vélo, il jouera même dans un épisode de la série "Plus belle la vie", où il campera son propre rôle. Celui qu'il a joué pendant dix-sept ans au guidon de son vélo.