Tour : au creux de l'oreillette

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Nicolas Rouyer, à Annecy , modifié à
CYCLISME - L'oreillette fait aujourd'hui partie intégrante du Tour. Rencontre avec une mal-aimée.

Cela va rester l'une des images de ce 100e Tour : le Maillot Jaune, Christopher Froome (Team Sky), effectuant la montée mythique vers le Ventoux les fesses calées sur sa selle et le micro collé à la bouche. Cette dernière attitude, étonnante, a réveillé le débat sur le bien-fondé de la fameuse oreillette. Europe1.fr est parti à sa rencontre.

De prime abord, elle ne paie pas de mine. Un simple écouteur noir relié à un boîtier gris qui permet de mettre en relation les coureurs et leurs directeurs sportifs. Quelques fonctionnalités à régler. Et une installation que nous explique le manager de l'équipe Cofidis, Yvon Sanquer :

Pour pouvoir émettre sur ce petit boîtier pendant le Tour, les équipes paient une taxe afin de disposer d'une fréquence spécifique. Ainsi, chaque oreillette est unique. Ce qui, bien évidemment, la rend chère aux yeux des autres. Une ou deux équipes sur la Grande Boucle auraient ainsi pris l'habitude de pirater les fréquences des adversaires pour écouter les conversations, non pas sur l'oreiller, mais dans les oreillettes. C'est le jeu, dit-on dans le peloton. Les équipes l'ont bien compris. Et c'est pourquoi certaines décisions se communiquent sous la forme de messages codés. L'oreillette cultive le goût du secret...

Au centre des polémiques

Froome et Porte (x1240)

© REUTERS

Mais l'oreillette alimente aussi la polémique. Et ce, depuis longtemps. En 2009, l'Union cycliste internationale (UCI) indiquait que son utilisation "dénaturait" le cyclisme, en influençant exagérément le déroulement des courses. Quatre ans plus tard, l'oreillette est toujours là, en tout cas sur les courses les plus importantes du calendrier (celles du Pro tour), à commencer, bien sûr, par le Tour de France. Résistante, l'oreillette, malgré son physique effilé (et parfois emmêlé). Il faut dire que la petite s'est trouvée des défenseurs costauds dans le peloton : les directeurs sportifs, pour qui elle a bon dos. Ce sont eux qui, en 2009, ont fait plier la direction du Tour qui avait voulu tenter l'expérience "sans elle". Depuis, l'UCI joue la montre et repousse sans cesse la date de sa mise au placard. Ce devait être 2013, ce sera peut-être 2014, mais rien n'est moins sûr. L'oreillette est coriace.

Si Yvon Sanquer, comme beaucoup de responsables d'équipes, vante ses mérites, essentiellement pour prévenir des dangers du parcours (information+sécurité), il en est certains qui ne pleureraient pas sa disparition. A commencer par Nicolas Portal, directeur sportif de l'équipe Sky. Oui, oui, celle de Froome, l'homme qui murmurait dans l'oreillette. "Je me sens un peu esseulé par rapport à ça", sourit Portal. "Tactiquement, son absence donnerait un peu plus de poids au directeur sportif en dehors de la course, pour apprendre aux coureurs le sens tactique, dans quelle situation on fait ça, pourquoi on fait ça. Ça obligerait de faire un meeting d'avant-course encore plus conçu, pointu, rigoureux. Ce serait un travail différent, davantage un métier de professeur, d'apprentissage." Mais alors pourquoi son leader a-t-il passé son temps au micro lors de ce Tour ? "Nous, on dit : on a les oreillettes et on communique sur tout. Dès qu'on a un petit souci, sur les musettes, changement de bidons ou n'importe quoi, on l'utilise, ça pèse lourd, autant l'utiliser." Bref, chez les directeurs sportifs, on n'aime ni ne déteste fondamentalement l'oreillette. Elle est là, c'est tout.

Ceux qui ne l'ont pas connue ne l'apprécient guère...

Pour trouver un discours tranché, il faut se tourner vers les coureurs qui ont connu l'avant-oreillette, introduite en 1996. Fin connaisseur du Mont Ventoux, où Froome a triomphé en mono (et stéréo), Eric Caritoux regrette le côté aseptisé des courses actuelles. "Avec les oreillettes, c'est le directeur sportif qui anticipe tout", regrette le vainqueur de la Vuelta 1984, aujourd'hui membre du team Orange sur le Tour. "Je serai pour qu'il n'y ait qu'un ou deux coureurs qui soient équipés mais les neuf, je suis plutôt contre." Son complice Patrice Esnault est sur la même longueur d'ondes. "Manque d'initiative, courses sans souffle, source d'inattention sur la route : je cherche des avantages aux oreillettes mais je n'en vois pas", tranche-t-il.

Ancêtre de la caméra ?

Brocardé par les tenants d'un cyclisme à l'ancienne, l'oreillette, cette mal-aimée, est pourtant perçue par certains comme une… pionnière. "Je ne vois pas pourquoi un téléspectateur ou un internaute à l'autre bout du monde pourrait avoir accès aux informations et que le coureur, lui, soit obligé de descendre aux voitures pour les obtenir", tranche Charly Mottet, ancien 4e du Tour (1991). "La technologie moderne, c'est absolument indispensable. Les gars pourraient également avoir un GPS. Aujourd'hui, on en est encore au système des panneaux sur les motos. Le vélo est, de ce point de vue-là, un sport archaïque." Et l'ancien triple vainqueur du Dauphiné d'énumérer les bastions qui restent à conquérir : le son sur les vélos, les inserts des discussions radio dans les retransmissions télévisées ou les caméras sur les casques. Sûr qu'on aurait aimé voir l'attaque de Froome en caméra embarquée… L'oreillette, premier élément d'un cyclisme "technologique", vit encore. Et, qui sait, peut-être qu'elle fera un jour des petits…