Championnes à 16 ans, est-ce étonnant ?

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NATATION - Les Mondiaux 2013 ont été marqués par les performances de très jeunes nageuses.

Elles n'ont que deux jours de différence. La Lituanienne Ruta Meilutyte et l'Américaine Katie Ledecky sont nées respectivement les 17 et 19 mars 1997 et n'ont donc même pas 16 ans et demi. Championnes du monde à Barcelone cette semaine (sur 100 m brasse pour la première, sur 400 m, 1.500 m et relais 4x200 m pour la seconde), elles ont également fait voler en éclat deux records du monde (sur 100 m brasse pour Meilutyte, sur 1.500 m pour Ledecky) lors de championnats avares en performances de ce genre. Voir des nageuses briller aussi jeunes, est-ce étonnant ? La fraîcheur ou l'envie ne peuvent à l'évidence pas tout expliquer. Nous avons évoqué cette question avec Gérard Dine, médecin biologiste et professeur de biotechnologie.

Milutyte à Barcelone (930x620)

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>> Une explication biomécanique. Meilutyte comme Ledecky (photo ci-dessous) ne viennent pas de nulle part. L'an dernier, elles étaient toutes les deux sacrées championnes olympiques à l'âge de 15 ans : la première sur 100 m brasse, la deuxième sur 800 m. A Barcelone, elles n'ont fait que confirmer leur talent précoce. "La natation, comme vous le savez, se passe dans l'eau, et il y a donc un rapport entre flottabilité et capacité à avancer", souligne Gérard Dine. "Les jeunes ont des structures plus légères en termes de densité, ce qui les aide du point de vue de la flottabilité." Pas étonnant, donc, que certaines nageuses, qui ont commencé très tôt à pratiquer leur sport, atteignent le pic de leur carrière dès leurs débuts chez les "grands".

Ledecky à Barcelone 2 (930x620)

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>> Les filles plus précoces. Alors que les stars féminines de ces championnats sont très jeunes - Missy Franklin, vainqueur du 100 m dos et du 200 m, n'a elle que 18 ans -, rares sont les hommes de moins de 20 ans à briller. Ryan Lochte, star de ces Mondiaux, a... 28 ans. "Le ratio entre flottabilité et puissance exprimée pour avancer de manière horizontale dans le fluide est favorable aux filles pour des raisons de de puberté et de précocité", souligne le Dr Dine. "Il y a environ trois à quatre ans d'écart à ce niveau entre les filles et les garçons. Chez les filles, c'est 11-15 ans, alors que chez les garçons, la puberté s'effectue entre 13-14 ans et 19 ans." Les deux dernières grandes stars tricolores, Yannick Agnel et Florent Manaudou, ont ainsi triomphé à Londres à l'âge de 20 et 21 ans. "Cet avantage au niveau de la puberté permet aux filles d'avoir un rendement musculaire supérieur à âge égal."

>> La natation, pas une exception. La natation n'est pas le seul sport où les jeunes femmes brillent très tôt, et plus tôt que les hommes. "Il y a un phénomène similaire en gymnastique", relève Gérard Dine. "Ce n'est pas de la course, elles sont obligées de bouger dans la pesanteur. Là aussi, il y a donc un rapport entre le poids embarqué et la puissance développée. Les garçons performants en gymnastique le sont plus tardivement aussi. Cela correspond à une problématique hormonale."

Ledecky à Barcelone (930x620)

>> Des qualités innées. Alors qu'il a longtemps été la chasse gardée de très jeunes championnes (Monica Seles, Arantxa Sanchez ou Martina Hingis ont établi des records de précocité), le tennis féminin a récemment sacré Serena Williams, 31 ans, à Roland-Garros, et Marion Bartoli, 28 ans, à Wimbledon. "C'est conjoncturel", estime le Dr Dine. "Ceci étant, il y a dans le tennis des maturations psycho-biologiques qui sont beaucoup plus importantes que dans des disciplines chronométriques où il faut acquérir le geste de l'effort, où l'aspect technico-tactique est moins important. Une fois la technique de nage acquise, plus ou moins innée, et pour quelqu'un qui a une bonne capacité de pénétration dans l'eau, quand le moteur est là, quand la puissance musculaire est là, ça avance." Et chez Meilutyte comme chez Ledecky, ça avance. 

Ye Shiwen plus rapide que Lochte en 2012 :

>> L'ombre du dopage. A voir des filles de 16 ans nager plus vite aujourd'hui que les nageuses de l'époque des combinaisons en polyuréthane a forcément de quoi interpeller. "La question du dopage ne peut pas être éludée", considère le Dr Dine, qui cite notamment le cas de la Chinoise Ye Shiwen qui, à Londres, et à l'âge de 16 ans, avait étonné tout le monde en nageant son dernier 50 m plus rapidement que Lochte sur le 400 m 4 nages. Un an plus tard, elle n'a fini que quatrième de la finale du 200 m 4 nages, distance sur laquelle elle était tenante du titre.  "Elle surclasse tout le monde il y a un an et elle sombre littéralement sur la même distance un an plus tard", s'étonne Gérard Dine. "Les records battus aujourd'hui, ça va interpeller de plus en plus. Et là, je n'ai malheureusement pas de réponse." Depuis 2011, la Fédération internationale de natation a mis en place le passeport biologique, qui permet notamment de suivre les évolutions des données sanguines des nageurs. Et des jeunes nageuses.