Armstrong : le grand déballage

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DOPAGE - Le rapport de l'agence américaine antidopage contient 1.000 pages de témoignages.

L'agence américaine antidopage (Usada) a transmis mercredi à l'Union cycliste internationale (UCI) le contenu du rapport à charge contre Lance Armstrong, qui l'a déjà conduite à suspendre le Texan de toute compétition, et notamment de triathlon. Si la teneur et certains récits en étaient connus, de nombreux éléments nouveaux viennent apporter des précisions sur le fonctionnement de que l'Usada a appelé "le programme de dopage le plus sophistiqué jamais vu dans l'histoire du sport". Si l'UCI suit les recommandations de l'Usada, Armstrong perdra le bénéfice de ses sept Tours de France, gagnés de 1999 à 2005.

Hincapie 05.07

Hincapie parmi les témoins à charge. Certains s'étaient déjà exprimés publiquement contre Armstrong mais la liste n'avait jamais été rendue publique. Le rapport de l'Usada s'appuie précisément sur le témoignage de 26 personnes, dont 11 anciens équipiers d'Armstrong : Frankie Andreu, Michael Barry, Tom Danielson, Tyler Hamilton, George Hincapie, Floyd Landis, Levi Leipheimer, Stephen Swart, Christian Vande Velde, Jonathan Vaughters et David Zabriskie. Si Tyler Hamilton et Floyd Landis ont largement relayé leurs accusations, ce n'est pas le cas de George Hincapie. Sa présence parmi les témoins à charge avait été évoquée au départ du Tour de France 2012, sans être confirmé par l'intéressé. Cette fois, l'ancien coureur de l'US Postal a avoué s'être dopé. "Au début de ma carrière professionnelle, il est devenu clair qu'avec l'usage répandu de produits favorisant la performance parmi les meilleurs, il n'était pas possible de concourir au plus haut niveau sans y recourir", explique Hincapie, qui a annoncé sa retraite cette année. Le fait qu'il ait été le capitaine de route d'Armstrong pendant de longues années mais aussi un coureur respecté du peloton donne du poids à son témoignage.

Lance Armstrong en 2001 (930x620)

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L'EPO, moteur du retour. Hincapie est l'un des coureurs à attester la prise d'EPO par Armstrong dès le début de l'année 1998, saison de son retour après avoir vaincu un cancer des testicules. Cette année-là, son ancien équipier Jonathan Vaughters affirme avoir vu LA s'injecter des doses d'EPO lors du Tour d'Espagne. Armstrong, jusqu'ici connu pour ses qualités de baroudeur, s'était classé 4e, un peu à la surprise générale. Le dispositif de dopage à l'EPO aurait atteint son apogée l'année suivante, sur le Tour 1999, la première des sept Grandes Boucles remportées par le Texan. Hamilton explique que son leader procédait à l'époque à des injections d'EPO "tous les trois ou quatre jours". Le rapport de l'Usada confirme également les informations révélées en 2005 par le quotidien L'Equipe selon lesquelles six échantillons d'urine d'Armstrong contenaient des traces d'EPO. Sur ce même Tour, LA avait été contrôlé positif aux corticoïdes mais il s'en était sorti grâce à une autorisation thérapeutique... antidatée. Sur les six Tours suivants, Armstrong ne sera plus jamais contrôlé positif. Par quel biais ? Une gestion scientifique de la prise de produits (horaires, lieux, produits masquants) mais également par la grâce d'un système antidopage moins abouti et moins contraignant qu'il ne l'est aujourd'hui.

07.04.Armstrong.MontVentoux2000.630.420

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Le dopage sanguin comme alternative. L'EPO échappant plus difficilement aux contrôles, le moyen le plus efficace de se doper a rapidement consisté à se faire prélever du sang en amont avant de se le faire réinjecter durant l'épreuve. Hamilton explique qu'Armstrong a eu recours à ce procédé dès le Tour de France 2000 (ici avec feu Marco Pantani au Ventoux). Il aurait concerné les trois grimpeurs de l'équipe : Armstrong et Hamilton, mais également Kevin Livingston. Selon Hincapie, Armstrong a continué à avoir recours au dopage sanguin jusqu'à 2005, année de sa dernière victoire sur le Tour. Mais il n'en avait pas pour autant arrêté le dopage plus "classique", avec notamment des ingestions d'EPO à petites doses, dont certaines servant à dissimuler le dopage sanguin... Le rapport décrit un Armstrong prêt à tout pour améliorer ses performances. Ainsi ces bains de bouche à l'huile d'olive et à l'Andriol, un produit comprenant de la testostérone. Une idée, parmi d'autres, du docteur Michele Ferrari.

Lance Armstrong, sur le Tour 2010 (630x420)

Ferrari, "Schumi" aux manettes. Le rapport entre Armstrong et le docteur Michele Ferrari, qui avait un jour comparé l'EPO à du jus d'orange, était connu. Mais on ignorait qu'il avait été aussi étroit. Dès 1999, le docteur italien, surnommé "Schumi" en raison de son patronyme, aurait coordonné le système de prise d'EPO, dont le ravitaillement sur le Tour était assuré par le fameux "Motoman". La collaboration entre Ferrari et l'US Postal se serait poursuivie sur les Tours suivants. S'ils acceptaient d'être "suivis" par le docteur, les coureurs de l'équipe devaient céder une partie de leur salaire. Le rapport indique qu'Armstrong aurait versé en tout plus d'un million de dollars (soit 770.000 euros environ) sur le compte suisse d'une société appartenant à Ferrari. Décrit comme un "ami" par Armstrong dans son autobiographie, Ferrari aurait également encadré le retour aux affaires du "boss" en 2009. L'Equipe.fr retranscrit ainsi des échanges de mails entre le fils du docteur et Armstrong au sujet de sa préparation. Des soupçons existent sur ce deuxième retour. L'Usada explique ainsi que plusieurs échantillons de sang prélevés sur les Tours de France 2009 et 2010 (photo) présentent des données anormales. L'agence aurait alors demandé à l'UCI de lui fournir les résultats de tous les contrôles sanguins pratiqués. Elle n'avait pas donné suite, Armstrong s'étant opposé à la demande.

Armstrong avec les hôtesses du Tour de Suisse (930x620)

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Petits arrangements avec l'UCI. Armstrong n'a pas gagné que sept Tours de France. Parmi ses quelques autres victoires, figure le Tour de Suisse 2001. Hamilton et Floyd Landis affirment que, cette année-là, leur coéquipier a été contrôlé positif à l'EPO. Armstrong et son manager Johan Bruyneel firent un don "d'au moins 100.000 dollars (77.000 euros environ)" à l'UCI. Officiellement pour soutenir le développement du cyclisme à travers le monde. Officieusement pour étouffer l'affaire. Car le directeur du laboratoire de Lausanne indique avoir été informé par l'UCI de l'existence d'un échantillon d'Armstrong positif. Cette révélation fait écho aux déclarations de Landis, condamné il y a quelques jours pour avoir ouvertement accusé l'UCI d'avoir protégé Armstrong.

Armstrong avec Bruyneel (930x620)

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Une organisation bien rodée. Un manager, Johan Bruyneel, un préparateur, Michele Ferrari, un entraîneur, Jose Marti, un médecin, Luis del Moral puis Pedro Celaya, un coureur, Lance Armstrong. Cinq acteurs principaux aux rôles bien définis. Ce n'est pas une surprise : l'US Postal avait le sens de l'organisation, y compris dans son système de dopage. En 2005, c'est Bruyneel lui-même qui aurait demandé à Hincapie de nettoyer l'appartement espagnol de LA "pour s'assurer qu'il ne restait rien". Armstrong avait en effet l'habitude d'entreposer du "matériel" chez lui. En 2002, il aurait même donné les clés de son appartement à Landis pour que celui-ci surveille ses poches de sang en son absence. Armstrong était le leader, sur la route et en dehors. En 2003, c'est lui qui aurait pris la décision de virer le docteur de l'équipe, Del Moral, en raison d'un programme de dopage pas assez performant à son goût. Cette année-là, Armstrong avait gagné le Tour avec une petite d'avance seulement sur Jan Ullrich, soit le plus petit écart de ses sept succès. L'année suivante, il remporta son sixième Tour avec 6'19" d'avance.