Marion Bartoli : "J'avais la ferme intention de sortir mes parents de l'endroit où on était"

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Nikos Aliagas, édité par Anaïs Huet , modifié à
Longtemps décriée, parfois moquée, mise en doute, Marion Bartoli a vécu des années tennis souvent difficiles. Au micro de Nikos Aliagas, elle raconte cette force de caractère qui lui a permis de tenir, et d'aller au bout de son rêve notamment en remportant Wimbledon en 2013.
INTERVIEW

À l'occasion de la sortie de son livre Renaître, paru aux éditions Flammarion, Marion Bartoli, gagnante de Wimbledon en 2013, revient au micro de Nikos Aliagas, vendredi sur Europe 1, sur sa carrière tennistique, sa famille, et ce milieu qui, pendant trop longtemps, n'a pas cru en elle.

Votre palmarès est riche. Mais vous dites que vous n'aviez ni le talent ni le niveau pour y arriver.

Absolument, et c'est d'ailleurs une grande fierté pour moi. Je ne prends pas ça comme une souffrance. Je n'étais pas douée pour le sport au départ, j'étais douée pour d'autres choses, et en particulier l'école. J'adorais jouer au tennis, j'adorais la compétition, mais je n'avais aucune qualité particulière pour être championne. J'y suis parvenue à force de courage, de travail, de formation avec mon papa. On s'est réellement formé ensemble. Lui était médecin de campagne en Haute-Loire et n'avait aucune formation tennistique.

C'est d'abord pour les autres que vous avez fait tous ces efforts ?

J'étais une enfant très concernée par le bonheur de mes parents, de ma famille. Je continue à être comme ça aujourd'hui. Mon obsession était d'être la petite fille parfaite. Il fallait que j'aie 20/20 à l'école, que je gagne tous mes matchs de tennis.

Très tôt, j'ai été la meilleure de mon département. Donc la fédération française de tennis m'avait alloué des heures avec un professeur qui me donnait des cours trois fois par semaine. Un jour, il m'a dit : 'ton papa est trop présent, donc c'est ou lui, ou moi. Et sans moi, tu n'iras nulle part.' Il n'était pas très visionnaire, et peut-être un peu buté. Je lui ai dit que sans mon papa, c'était impossible.

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Le système n'a pas été tendre avec vous…

Bien sûr. Aujourd'hui, le système a évolué et les parents sont beaucoup plus intégrés dans les structures d'entraînement. À l'époque, c'était tabou qu'il y ait les parents autour des terrains. La Fédération rejetait totalement mon papa. J'ai eu des entraîneurs qui ont été d'une violence verbale excessive avec moi. On me disait que je n'avais aucune chance de réussir. Cette violence verbale envers un enfant qui a juste le rêve de devenir joueuse de tennis, c'est inutile.

Où avez-vous puisé la force de contredire tous ces gens qui ne croyaient pas en vous ?

J'avais la ferme intention de vouloir m'en sortir, et de sortir mes parents de l'endroit où on était. C'est toujours ma famille qui passe en premier, ou mon petit ami aujourd'hui. J'ai besoin de le faire pour quelqu'un. Je ne suis pas assez égoïste pour me dire que c'est moi qui gagne, moi qui suis mise en avant, moi qui suis prise en photo, moi qui ai le trophée entre les mains. J'ai besoin de me dire que quelqu'un va être fier de ce que je suis en train de réaliser. Si je ne l'avais fait que pour moi-même, je n'aurais pas eu cette force de caractère.

Wimbledon était votre objectif ultime. Quelle est l'étape d'après ?

Mon plus grand regret a été de rater ma finale de 2007. À ce moment, je n'avais que 22 ans, je venais de battre la numéro 1 mondiale, et j'étais vraiment en position de pouvoir remporter ce tournoi de Wimbledon 2007. J'aurais pu profiter de ce titre pour construire et en gagner d'autres. Ce titre de 2013, lui, est arrivé de manière totalement inattendue. J'étais totalement consciente que j'arrivais à la fin de ma carrière tennistique. J'avais des douleurs physiques beaucoup trop importantes, je ne jouais pas bien cette année-là, je venais de me séparer de mon papa pour l'entraînement. Donc j'étais dans une espèce de marasme, je ne savais plus vraiment où aller. Et puis ces quinze jours de tournoi sont arrivés, où je gagne sans perdre un set. Tout s'est déroulé comme dans un rêve.

Par contre, quand ça s'est terminé, mon cerveau voulait soulever des montagnes et remporter encore plein de titres (la Fed Cup, Roland-Garros), mais mon corps n'était plus là. C'est comme si mon cerveau avait sécrété pendant des années des antidouleurs pour. Puis quand j'ai gagné Wimbledon, ça s'est arrêté, et les douleurs physiques devenaient incompatibles avec le sport de haut niveau.

Avez-vous toujours l'esprit de compétition ?

Aujourd'hui, j'ai totalement perdu mon esprit de compétition tennistique. Lorsque je joue sur un terrain, je le fais uniquement pour m'amuser. Quand on me dit 'On fait un set ? On fait un match ?', c'est l'horreur. Je n'ai vraiment pas envie de le faire.

Je suis quand même en permanence dans la recherche d'une performance, mais je l'ai dirigée vers autre chose. Aujourd'hui, c'est dans les activités professionnelles qui comptent pour moi, dans lesquelles je m'investis énormément. Et là-dessus, je veux tenter d'être la meilleure. Par contre, dans le tennis, j'accepte d'être très moyenne (rires). Ça ne me dérange plus du tout.