Les derniers du Vendée Globe, contre vents et marées

À bord de son bateau Famille Mary-Etamine du Lys, Romain Attanasio, 16ème, vient tout juste de passer le cap Horn.
À bord de son bateau Famille Mary-Etamine du Lys, Romain Attanasio, 16ème, vient tout juste de passer le cap Horn. © DR
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Après l’arrivée triomphale d’Armel Le Cléac’h aux Sables-d’Olonne jeudi, plusieurs skippers sont toujours en course, bien loin de la Vendée…

Franchir la ligne, embrasser ses proches, fêter l’exploit jusqu’au bout de la nuit et dormir au chaud... Armel Le Cléac’h n’oubliera sans doute jamais sa victoire historique sur le Vendée Globe, jeudi aux Sables-d’Olonne. Pour d’autres, relégués à des milliers de milles nautiques, l’arrivée n’est encore qu’un doux et lointain songe.

Un "drôle" de sentiment. "L’état d’esprit, il est mitigé", reconnaît Sébastien Destremau, actuel 18ème et bon dernier du classement. "Ça fait drôle de savoir que les premiers sont en train d’arriver (l’interview a été réalisée mercredi, ndlr), quand je vois la distance énorme que j’ai encore à parcourir. Mais c’est mon esprit de compétiteur qui parle, parce que c’est quand même génial", corrige le Varois. 

" Je fais au mieux. Mon bateau n’est pas du tout aussi rapide que les autres. "

Du retard à l’arrivée. Le marin estampillé TechnoFirst-faceOcean espérait boucler son tour du monde en solitaire en 100 jours. "Ça faisait un chiffre rond, et ça me faisait arriver le 14 février, le jour de la Saint-Valentin. C’était un beau symbole", note-t-il. Il devrait finalement mettre 112 à 115 jours pour rejoindre la terre ferme, bien loin du record de 74 jours établi jeudi par Armel Le Cléac’h. "J’aimerais bien arriver le 26 février. J’ai regardé, c’est un dimanche. C’est sympa, le dimanche", s’amuse ce père de cinq enfants. Mais pour lui, la réussite ne se trouve pas forcément dans un calendrier. "Les résultats, on s’en fout. Je fais au mieux. Mon bateau n’est pas du tout aussi rapide que les autres."

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© Capture d'écran Vendée Globe

S’accrocher quand rien ne va plus. Être encore course après 75 jours relève déjà de l’exploit pour le Français, âgé de 52 ans. Onze des 29 skippers engagés au départ ont déjà abandonné. Lui avoue y avoir pensé à plusieurs reprises. Mais "le Vendée Globe, c’est la seule course où on ne peut pas se dire ‘je jette l’éponge’ et espérer être en cinq minutes dans les bras d’une bonne sœur. Pour trouver une terre, c’est minimum huit jours de mer. Ça vous laisse le temps de changer d’avis", glisse-t-il avec toujours autant de malice.

Galères, galères. Alors le skipper s’est acharné, luttant avec abnégation contre les obstacles que l’océan sème parfois sur la route. Et côté mésaventures, le navigateur a donné. Tantôt obligé de s’arrêter une semaine en Tasmanie pour soigner son mât, tantôt victime d’un démarreur lui causant autant de souci que de retard… "Hier, j’ai mis deux heures et demi à démarrer alors que normalement, il suffit d’appuyer sur un bouton", bisque-t-il. Et quand ils ne sont pas mécaniques, les bobos peuvent aussi être physiques. Comme lors de cette nuit de décembre, où, pendant son sommeil, son monocoque est avalé par une vague. Le marin, après une lourde chute, se brise les côtes. "Là maintenant, ça va. Mais faut pas me faire rigoler ou tousser, ça me fait atrocement mal", explique-t-il… dans un grand éclat de rire. Vous avez dit masochiste ? Pas impossible.

" Quand on est partis, le bateau n’était même pas prêt. "

Être encore là, déjà une victoire. Car malgré sa solide expérience sur les eaux, Sébastien Destremau n’est pas vraiment un habitué de ce genre de compétition. "La Coupe de l’America (à laquelle il a déjà participé quatre fois, ndlr), c’est une heure", précise-t-il. "C’est comme si Usain Bolt décidait d’aller faire le plus long et difficile trail de la planète au Chili. C’est un truc de fou. Quand on est partis, le bateau n’était même pas prêt. Alors déjà, être arrivé jusque-là, c’est phénoménal."

"C’est déjà un exploit" : c’est précisément ce que se répète chaque matin Romain Attanasio. Lui pointe à la 16ème place, la faute, entre autres, à un violent impact avec un OFNI (objet flottant non identifié) qui l’a contraint à interrompre deux semaines son trajet. "Quand j’ai un coup de mou, je repense au moment du choc et je me dis : ‘t’es toujours en course, profite’. Il ne faut pas oublier que je fais le Vendée Globe !", lance-t-il fièrement.

Manque de nourriture. Là encore, le navigateur a dû revoir à la baisse ses ambitions initiales. "J’avais pris pour 100 jours de nourriture. En fait, je devrais mettre 105 à 110 jours, mais je n’ai pas mangé autant que ce que j’avais prévu. Il va me rester quelques trucs, pas bons, mais quelques trucs quand même", précise le Haut-Alpin. Une sérénité partagée par Sébastien Destremau, qui n’exclut pourtant pas de se retrouver à court de vivres en pleine mer. "En zone tempérée, on peut sauter un repas si on voit que ça traîne un peu. Au pire, je mangerai des algues", sourit-il.

Une course dans la course. S’ils vont moins vite que leurs homologues Le Cléac’h et Thomson, déjà arrivés aux Sables-d’Olonne, Destremeau et Attanasio ne sont pas non plus en croisière. Le plus jeune des deux, âgé de 39 ans, n’est qu’à quelques encablures de l’Espagnol Didac Costa, qui possède environ 130 milles d’avance (240 kilomètres). "De temps en temps, ça permet de se mettre un peu de pression" assure-t-il. Et éventuellement de combattre la solitude. "Quand on part une semaine, trois jours, ça semble long. Alors forcément, quand on part pour trois mois…", explique Romain Attanasio.

" Ils ont un mérite et une détermination exceptionnels. "

Des soutiens indispensables. De ce côté-là, les marins peuvent compter sur leur équipe et sur l’organisation du Vendée Globe pour ne pas les laisser tomber. "On est peut-être même plus assidus dans le suivi de certains derniers, qui ont eu un sacré lot de galères ou ont subi les systèmes météorologiques", assure le directeur de course, Jacques Caraës. Cet ancien coureur au CV bien étoffé ne manque pas l’occasion de saluer la performance. "J’ai beaucoup de respect pour ces gens-là. Ils ont un mérite et une détermination exceptionnels. Certains nous ont même étonnés. On n’imaginait pas qu’ils puissent faire une aussi belle course…"

Romain Attanasio doit bien l’admettre, il possède un ingrédient secret. Ce petit plus qui apporte la motivation indispensable pour ne pas lâcher, c’est "le petit mail" de ses proches qu’il reçoit tous les soirs. Ça, et les photos de son fils Ruben, 5 ans. "C’est aussi ça qui fait la beauté de cette épreuve, c’est votre entourage", acquiesce Sébastien Destremau. "Une aventure comme celle-là, ça ressoude tout le monde, c’est démentiel. Si ce n’est pas pour moi que je continue, c’est pour eux", poursuit-il.

" Arriver le dernier, c’est fermer la porte derrière soi en rentrant. Et ça, ça doit être inoubliable. "

L’arrivée, ce moment déjà chéri. Alors forcément, quand les deux hommes s’imaginent enlacer famille et amis, la hâte se fait sentir encore davantage. "L’arrivée, je l’imagine dans mes rêves", confie Romain Attanasio. "Hier, j’ai rêvé que j’étais à 720 milles de l’arrivée (contre environ 7.200 vendredi, ndlr). Ça doit être un moment de joie énorme". Cela pourrait l’être encore un peu plus pour celui qui fermera la marche. C’est en tout cas ce que croit savoir la lanterne rouge du classement : "le départ, c’est déjà phénoménal, mais vous le partagez avec 28 autres skippers. Là, les personnes qui seront là seront là pour moi. Ça veut dire que, quelque part, je les aurai touchées. Arriver le dernier, c’est clore quelque chose, fermer la porte derrière soi en rentrant. Et ça, ça doit être inoubliable", devine déjà Sébastien Destremau.

Si les chapiteaux seront probablement démontés d’ici là, le public vendéen, lui, sera à coup sûr au rendez-vous pour accueillir ces héros décidément pas comme les autres. "L’arrivée d’Alessandro (Di Benedetto, onzième et dernier après 104 jours de course) en 2013, c’était magique", se rappelle Jacques Caraës. Mais attention… la route est encore longue.