JO d'hiver : Rollers-skis, réalité virtuelle et réchauffement climatique, comment font les athlètes pour s'entraîner sans neige ?

Même dans l'hémisphère nord, certains skieurs sont obligés de s'exiler pour s'entraîner, la faute au réchauffement climatique.
Même dans l'hémisphère nord, certains skieurs sont obligés de s'exiler pour s'entraîner, la faute au réchauffement climatique. © AFP
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Parce qu'ils viennent d'un vient d'un pays tropical, ou parce que la neige manque parfois hors-saison, certains athlètes ont été contraints d'adapter leur préparation aux JO. Passage en revue.

Le monde du sport s'est donné rendez-vous vendredi, en Corée du Sud. Lors de la cérémonie d'ouverture des 23e JO d'hiver, au stade olympique de Pyeongchang, les athlètes des quatre coins du globe défileront sous leurs drapeaux respectifs, avant de s'affronter sur les pistes et les patinoires pendant deux semaines. Parmi eux, certains ont fait le voyage depuis les îles Tonga, le Maroc, le Nigéria ou encore Taipei. Pour se préparer, ils ont littéralement dû défier les éléments. D'autres, venus de l'hémisphère nord, ont également dû trouver des solutions de repli, alors que la neige s'y fait de plus en plus rare en raison du réchauffement climatique.

Quand on vient d'un pays où il ne neige pas

Le paradoxe avait été souligné par le film Rasta Rockett, l’histoire vraie de la première participation de la Jamaïque, en bobsleigh, aux Jeux olympiques d’hiver à Calgary, en 1988. Une folle aventure d'athlètes que rien ne prédestinait à la glace, et surtout pas le climat de leur pays. Aujourd'hui, mondialisation oblige, ces cas insolites sont de moins en moins rares. Mais la question de l'entraînement reste souvent un problème.

" "Je me suis entraîné pendant un an sur des rollers-skis, c'est la pire chose qu'on ait inventée au monde" "

Demandez par exemple au Tongien Pita Taufatofua, sélectionné pour ces Jeux en ski de fond. Porte-drapeau de son pays en 2016 à Rio, le colosse d'1,92m pour 100 kilos avait à l'époque participé à la grand-messe du sport… en taekwondo. Avant, donc, de se lancer dans un défi fou l'année passée. Car au Royaume de Tonga, cet État de Polynésie composé de plus de 170 petites îles perdues dans le Pacifique Sud, la neige n’existe pas. Alors forcément, pour se préparer, il lui a fallu bricoler. "Je me suis entraîné pendant un an sur des rollers-skis, c'est la pire chose qu'on ait inventée au monde", s'amusait-il fin janvier au micro de la chaîne du Comité international olympique (CIO).

Sur une vidéo mise en ligne sur la page Facebook de la Royal Tonga Ski Federation en novembre dernier, on aperçoit en effet le sprinteur arpenter le bitume, trempé par la pluie tropicale, sur des skis montés sur roulettes.

 

Mais l'astuce n'a pas duré, et le Tongien a fini par s'exiler à l'étranger pour trouver des pentes enneigées. "En tout, cela fait dix semaines que je pratique sur la neige", avouait-il après son improbable qualification.

Le cheminement a été le même pour le Marocain Samir Azzimani, surnommé dans le milieu "Couscous Rockett". Un an avant les JO 2014 de Sotchi, il avait traversé le Maroc du nord au sud sur ces fameux skis à roulettes. "Après avoir découvert le ski-roues que j’ai commencé à pratiquer sur un parking de ma ville, je m’étais dit pourquoi ne pas faire un truc fou, skier sur les routes du Maroc". Au terme d'un périple de 1.700 km, il avait finalement échoué à décrocher son ticket pour la Russie. Du coup, Samir Azzimani a lui aussi décidé de s'essayer sur la neige, en Savoie. Une stratégie payante, puisqu'à 40 ans, il sera au départ du 15 km classique en Corée.

Un membre de l’équipe taïwanaise de skeleton a lui aussi trouvé une astuce pour dompter les conditions météorologiques : à défaut de piste, il s'entraîne avec sa luge sur les routes ensoleillées de Taïwan, comme le montre une vidéo isolée par LCI.

 

Reste à savoir si la stratégie s’avérera payante pour performer sur les toboggans glacés de Pyeongchang. L'histoire d'Elizabeth Yarnold, championne olympique de skeleton pour la Grande-Bretagne aux JO 2014, prouve en tout cas que rien n'est impossible. "Lizzy" et ses partenaires pilotes de skeleton s'entraînent en effet à Bath, une ville du sud-ouest de l'Angleterre, où il n'y a pas de piste de glace. "Ça impose un apprentissage rapide. On passe huit mois sans s’exercer et ensuite on a simplement six descentes d’entraînement avant la compétition, donc il faut absorber toutes les informations, surtout que certaines de nos adversaires s’entraînent sur la piste où a lieu la compétition", expliquait-elle l'année de son sacre olympique.

" "Lorsque nous avons commencé, nous n’avions pas les moyens adéquats mais on les a créés" "

Comme les fameux "Rasta Rockett" il y a trente ans, l'équipe nigériane de bobsleigh sera cette année la première du continent africain à participer à la compétition en bob à deux. Mais la pilote, Seun Adigun, qui avait participé aux JO de Londres en 2012 en s'alignant sur le 100m haies, ainsi que ses freineuses Ngozi Onwumere et Akuoma Omeoga, elles aussi anciennes sprinteuses, ne se sont pas entraînées au Nigéria, mais aux États-Unis… Reste qu'à Houston, où l'équipe est basée, la neige se fait quand même rare. Faute de bobsleigh – un traîneau à deux places peut coûter jusqu'à 80.000 euros -, les trois femmes ont donc construit un traîneau en bois, le "Maeflower", pour parfaire leur technique.

"Lorsque nous avons commencé, nous n’avions pas les moyens adéquats mais on les a créés, nous ne vivons pas dans le bon climat, mais on parvient à s’entraîner. Nous voulons donner l’exemple et ils (les athlètes des autres pays africains) peuvent voir qu’ils peuvent également le faire même si cela semble impossible pour l’instant", confiait l'une de ces pionnières à la BBC en mars 2017.

C'est d'ailleurs à cette date que l’équipe a finalement pu s'essayer aux véritables courses de bobsleigh. Pour leur dernier entraînement de la saison, les trois femmes se sont rendues à Calgary, dans l'ouest du Canada. Le thermomètre affichait alors -18 degrés.

Quand le réchauffement climatique pousse à s'exiler

Partir pour trouver de la neige : cette nécessité ne concerne pas seulement ces sportifs "insolites". Pendant les mois les plus chauds de l'année, de nombreuses montagnes de l’hémisphère nord ne disposent plus d’une qualité de neige suffisante, la faute au réchauffement climatique.

Afin de préparer la saison de ski et les JO d’hiver, même l’équipe de France de descente a dû quitter ses frontières l'été dernier. Depuis quinze ans maintenant, elle prend à cette période la direction Ushuaia, dans l'extrême sud de l'Argentine. "À cause du réchauffement climatique, les conditions sur les glaciers en Europe sont de plus en plus compliquées en été. Les glaciers sont noirs, on n’y trouve que de la glace, et la plupart sont même fermés en août. Donc le stage à Ushuaïa devient indispensable", expliquait dans les colonnes de La Croix le skieur Victor Muffat-Jeandet, auréolé en janvier de la première victoire de sa carrière dans le combiné alpin de Wengen.

" "Les conditions sur les glaciers en Europe sont de plus en plus compliquées en été" "

Cette saison, de nombreux skieurs américains ont également dû se délocaliser en Suisse et en Finlande à l'automne. "Sans la neige et le froid dans les régions des États-Unis où il fait normalement froid, nous devons nous déplacer ici et trouver une place sur un glacier pour faire quelques sauts", souligne notamment le champion du monde de ski acrobatique Jon Lillis.

Les JO 2022 à Pékin malgré l'absence de neige

Les Jeux d'hiver de 2022, prévus à Pékin, sont eux aussi source d'inquiétude. Malgré des températures froides, il ne tombe en effet presque pas de neige sur la capitale chinoise. Les autorités ont cependant promis de produire d'ici là suffisamment de neige artificielle.

La vague de chaleur baptisée "Lucifer", qui a frappé le sud de l'Europe en juillet et en août dernier a encore poussé les coureurs canadiens de skicross à annuler leurs entraînements prévus sur le glacier Stelvio, en Italie. Et le réchauffement climatique ne frappe pas seulement l'été. L'année précédente, les épreuves de vitesse du circuit masculin prévues le week-end du 26 et 27 novembre 2016 à Lake Louise avaient été annulées en raison du manque de neige et de conditions météo défavorables dans la station canadienne.

Quand la réalité virtuelle permet de s'entraîner hors des pistes

Si, malgré les déplacements, la neige n'est toujours pas au rendez-vous, une dernière solution existe : la réalité virtuelle. C'est en tout cas celle pour laquelle ont opté les skieurs et les snowboarders de l'équipe américaine. Basés dans l'Utah, les athlètes estampillés USA utilisent cette technologie depuis deux ans maintenant, afin de répéter leurs gammes.

Grâce à la vidéo à 360 degrés, les futurs champions peuvent en effet se tester sur le parcours qu'ils descendront le jour J, là où ils n'ont souvent droit qu'à un seul passage, quelques jours avant le début de la compétition.

 

La plateforme Strivr, qui développe la technologie, et qui travaille avec la NFL (ligue de football américain), la NHL (hockey sur glace) et la NBA  (basket) assure que certains sportifs ont amélioré leur temps de réaction de 20% en utilisant la plateforme. Autre avantage : les casques, puisqu'ils enregistrent les mouvements de tête des sportifs, permettent  aux entraîneurs de vérifier qu’ils se concentrent sur les bons éléments, et éventuellement de rectifier le tir.

Le directeur technique de Strivr, Brian Meek, assure même au site américain Mashable que, lors de certaines compétitions, des skieurs portaient encore leur casque de réalité virtuelle sur la tête dans la télécabine qui les amenait à la porte de départ.

Enfin, l'utilisation de la réalité virtuelle peut également servir aux sportifs qui, blessés, ne peuvent fouler les pistes. Pendant leur rééducation, ceux-ci peuvent toujours affuter leurs muscles et leurs réflexes, tout en restant dans l'état d'esprit de la compétition. Mais le directeur technique de la Team USA l'assure : rien ne remplacera jamais l'entrainement sur piste.