Lemaitre, sprinteur d'exception

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JO - L'athlète français, âgé de 22 ans, entre en lice mardi aux Jeux olympiques à Londres.
Leclaire

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Quand, le 9 juillet 2010, Christophe Lemaitre court le 100 m en 9"98, ce que tout le monde retient, ce n'est pas le record de France de Ronald Pognon amélioré d'un centième, mais bien la couleur de peau du coureur d'Aix-les-Bains. En effet, ce jour-là, Lemaitre devient le premier sprinteur blanc à descendre sous la barre des dix secondes, 42 ans après l'Afro-Américain Jim Hines, premier homme sous les dix secondes aux JO de Mexico en 1968. Dans un passionnant ouvrage intitulé Pourquoi les Blancs courent moins vite*, l'ancien rédacteur en chef de L'Equipe Mag Jean-Philippe Leclaire revient sur cette étrangeté de l'histoire. Héritage familial, "gène du sprint", poids de l'esclavage, contraintes sociaux-économiques, l'auteur balaie les hypothèses mais ne livre pas de réponse à l'éclosion si tardive d'un tel talent blanc.

Le 200 m plutôt que le 100

Christophe Lemaitre à Londres (930x620)

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Jean-Philippe Leclaire explique avoir eu l'envie d'écrire son ouvrage sur le sprint et, en filigrane, sur Lemaitre, après avoir vu le natif d'Annecy devenir champion du monde juniors à Bygdgoszcz, sur 200 m. C'est sur cette distance que l'athlète français a choisi de s'aligner à Londres. Il aurait aussi pu entrer dans l'histoire en devenant le premier sprinteur blanc à s'inviter en finale olympique du 100 m depuis 1980. Mais Lemaitre, pour qui la couleur de peau n'a jamais été un enjeu, a préféré miser sur la fraîcheur et jouer sa carte à fond sur le 200 m. C'est sur cette distance qu'il avait décroché sa première médaille mondiale chez les seniors, l'an dernier, à Daegu, en prenant la troisième place derrière Usain Bolt et Walter Dix en 19"80. Le 14 juillet dernier, il a confirmé que le "200" était sa distance en signant le quatrième temps de l'année en 19"91 derrière trois Jamaïquains, Yohan Blake, Bolt et Jason Young (absent à Londres).

Un timide qui se soigne

Lemaitre (portrait)

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Mais si Lemaitre détone dans le monde de l'athlétisme, ce n'est pas seulement en raison de sa couleur de peau, mais également du fait de son comportement. Introverti, peu à l'aise en public, il est à mille lieux d'un Usain Bolt, exubérant avant, après et même pendant ses courses, ou des orgueilleux Américains. "Je suis encore timide, ça, c'est sûr, mais j'arrive aujourd'hui à le rendre moins perceptible", explique Lemaitre. "L'athlétisme m'a aidé à me sentir mieux, à être plus en confiance par rapport à moi-même. Se dire qu'on peut faire de telles performances dans un sport, alors qu'on ne s'en doutait pas, cela apporte de la confiance. Ça m'a aidé à être plus extraverti, à m'ouvrir un peu plus aux autres." Après son 19"91 du 14 juillet dernier à Londres (un heureux présage ?), il avait ainsi fait l'effort de parler en anglais, malgré sa timidité et son fameux cheveu sur la langue que les Français avaient découvert lors des championnats d'Europe 2010.

Un physique atypique

Lemaitre en course

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Comme d'autres avant lui (le Soviétique Valery Borzov, l'Italien Pietro Mennea ou encore le Français Gilles Quénéhervé), Lemaitre réussit dans le sprint sans être afro-américain ou caribéen. Ce qui en fait pour le public (et pour les promoteurs de meeting) un coureur forcément exotique. Mais Lemaitre tranche aussi par sa musculature, bien moins imposante que celle de ses adversaires. Sans trancher sur l'inné et l'acquis, Jean-Philippe Leclaire évoque dans son ouvrage la qualité des muscles fessiers et des ischio-jambiers de Lemaitre, qui lui permettent de se projeter plus vite vers l'avant. Mais Lemaitre, ce sont des jambes mais aussi la tête. "Il pige tout très vite", dit l'entraîneur Pierre Carraz de son élève. Et ce que Lemaitre a tout de suite pigé, ce sont les dangers de la récupération liée à ses performances. Après son premier 100 mètres sous les dix secondes, il y a deux ans, il avait déclaré : "il ne faut pas se baser sur la couleur mais sur l'envie, la hargne, l'entraînement. C'est ça le plus important, pas d'être blanc ou noir."

*Pourquoi les Blancs courent moins vite, de Jean-Philippe Leclaire, 372 pages, Grasset, 19,00 euros.