La "taxe Hollande", un fléau pour la L1 ?

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DECRYPTAGE - La taxe proposée par le candidat PS aurait des conséquences sur le foot français.

Surprise ! Depuis 48 heures, le championnat de France de Ligue 1 se retrouve au cœur de la campagne présidentielle. Désireux de taxer les très hauts revenus, François Hollande a proposé d'instaurer une tranche d'imposition à 75% pour les salaires supérieurs à un million d'euros annuels. Depuis cette déclaration, faite lundi sur le plateau de TF1, dirigeants et même joueurs ont fait part de leur profond scepticisme, voire de leur violente opposition à une mesure qu'ils jugent avant tout démagogique. "Ce serait la mort du football français", clame même Frédéric Thiriez dans les colonnes de L'Equipe, jeudi. Europe1.fr fait le point sur le débat qui agite actuellement le football français.

Plus d'une centaine de joueurs concernés. Le 19 octobre 2011, en marge du match de Ligue des champions entre le Real Madrid et l'Olympique lyonnais, François Hollande avait expliqué qu'il y avait "trop d'argent au PSG". Quatre mois plus tard, cette réflexion a un drôle d'écho. Car si la mesure de taxation des très hauts revenus proposée par le candidat socialiste à la présidentielle venait un jour à être adoptée, elle s'appliquerait d'abord dans le vestiaire parisien. En effet, 19 joueurs de l'effectif  émargent à 100.000 euros ou plus bruts par mois. Mais d'autres gros salaires, à Lyon, Marseille ou Lille, seraient évidemment concernés. Selon le président de la Ligue de Football professionnel, Frédéric Thiriez, la mesure concernerait "entre 120 et 150 joueurs", soit "un quart des effectifs". Car si le salaire moyen en Ligue 1 tourne aux alentours de 50.000 euros bruts par mois, les différentes primes aux résultats, considérées comme des salaires imposables comme les autres, gonflent significativement les comptes en banque. 

Des prélèvements obligatoires élevés. Aujourd'hui, les footballeurs sont assujettis à l'impôt à hauteur de 41% auxquels il faut ajouter la CSG et la CRDS. Ce taux d'imposition stricto sensu est le plus faible des grands championnats (il est de 50% en Angleterre ndlr). "Mais c'est le montant des prélèvements obligatoires, les impôts d'un côté et les cotisations sociales de l'autre, qui est très élevé en France par rapport à d'autres Etats", précise Jacques Saurel, enseignant au Centre de droit du sport d'Aix-Marseille. En résumé : en proportion, les joueurs ne laissent pas forcément plus d'argent en France mais sont en moyenne moins rémunérés qu'à l'étranger car les clubs paient plus de charges. A ce titre, la suppression à l'été 2009 du droit à l'image collective (DIC), qui prévoyait une exonération des cotisations sociales sur une partie de la rémunération des joueurs, a été vécue comme un coup dur par les clubs français. Aujourd’hui, ils s'inquiètent de cette "taxe à 75%" dirigée contre les plus gros salaires du championnat mais aussi d'une possible revalorisation par François Hollande de la "taxe Buffet", la part des droits télé reversée aux sports amateurs.

Un exode à l'étranger, pour certains...  En Ligue 1, tout le monde semble d'accord sur les conséquences de l'instauration d'une taxe à 75% sur les très hauts revenus. "Des joueurs qui sont actuellement en ligue 1 seront très certainement amenés à partir et puis en même temps, il deviendra encore plus difficile de faire venir des joueurs de l'étranger", a ainsi estimé l'entraîneur de l'OM, Didier Deschamps, jeudi. Le président du Losc, Michel Seydoux, est du même avis et évoque des conséquences économiques catastrophiques pour les clubs : "vous allez avoir un championnat qui va être tiré vers le bas. Vous allez retrouver moins de spectateurs dans les stades, pas de sponsors,... Donc, votre recette qui était de 100, elle va descendre probablement à 50. Les conséquences seront dramatiques. Pour un club comme le mien qui emploie plus de 200 personnes, il ne restera plus que 50 personnes."

Des conséquences plus limitées pour d'autres... Le président de l'Union nationale des footballeurs pros (UNFP), Philippe Piat, ne croit pas à un exode massif : "je ne crois pas que cette taxe inciterait les joueurs au départ, parce qu'il faudrait que les joueurs concernés trouvent mieux à l'étranger". L'herbe n'est pas forcément plus verte ailleurs. "Il y a globalement peu de différences entre les cinq grands championnats en termes de fiscalité", estime Bastien Drut, auteur d'Economie du football professionnel. Ainsi, l'Espagne a fait machine arrière et a abrogé la "loi Beckham", qui permettait aux joueurs étrangers de ne payer que 24% d'impôts au lieu de 43%. La France, qui dispose de garanties sociales plus solides, bénéficie en outre d'un dispositif destiné à attirer les talents, et pas seulement sportifs, venus de l'étranger et n'ayant jamais exercé en France. "Ce dispositif leur permet de bénéficier d'un abattement de 30% sur le revenu imposable", explique Jacques Saurel. "C'est ce qui explique que nous avons environ 50% de joueurs étrangers en Pro A de basket." Ce dispositif est valable cinq ans, soit la durée d'un bon contrat...

Des salaires élevés mais des impôts payés en France. Les opposants à la proposition de François Hollande insistent sur un point : les footballeurs paient leurs impôts en France. "Dissuader les hauts salaires de venir en France, c'est se priver d'une source de revenus importante puisque ce sont eux qui payent le plus d'impôts", souligne ainsi le président de l'Union des clubs professionnels (UCPF), Jean-Pierre Louvel. En 2010, les impôts sur le revenu du millier de joueurs professionnels de l'Hexagone ont en effet rapporté 265 millions d'euros à l'Etat. A ce sujet, Jacques Saurel opère une distinction. "Les sportifs visés par cette proposition de taux à 75% ne peuvent résider qu'en France et paient leurs impôts en France. D'autres sportifs, comme nos tennismen, qui gagnent de l'argent partout dans le monde, résident en Suisse et bénéficient d'une fiscalité particulière négociée avec l'autorité suisse." De l'inégalité parmi les très riches, en quelque sorte.

Des menaces sur la trésorerie des clubs. Paradoxalement, la mesure du candidat Hollande pourrait donner davantage de pouvoir aux joueurs face aux clubs. "Je crois qu'il y aurait de gros problèmes de trésorerie pour les clubs, parce que les joueurs demanderaient à leurs employeurs de supporter tout ou partie de l'incidence de cette mesure", explique Jacques Saurel. Le quotidien Le Parisien indique jeudi  que de plus en plus de joueurs s'assurent de la présence dans leur contrat d'une règle stipulant que leur salaire net restera inchangé, quel que soit l'évolution de la fiscalité. "C'est un problème de droit privé entre le club employeur et le joueur salarié. Mais Je ne pense pas que les clubs se soient trop aventurés dans ce schéma", estime pourtant Jacques Saurel, qui pointe un autre danger : la tentation de "développer des moyens d'évasion fiscale" afin de rester compétitif au niveau européen.

la "taxe Hollande" aurait des conséquences relativement importantes sur le football hexagonal, notamment en termes de compétitivité. "Le recrutement de grands joueurs par les clubs français serait plus difficile", estime Jacques Saurel. "Cela réduirait encore nos chances, déjà très minces, de remporter la Ligue des champions", ajoute Bastien Drut. Pour autant, cette "taxe Hollande" n'en est pour le moment qu'à l'état de proposition dans un programme... "Il faut voir comment les textes peuvent passer, être amendés, des mesures particulières être mises...", conclut Jacques Saurel. Les réactions dans le monde du football doivent être entendues ainsi. On fait déjà entendre sa voix, avant d'en discuter éventuellement après le 6 mai...