Coupe d’Afrique des nations : pourquoi le Gabon mise sur le sport

La président gabonais Ali Bongo et sa garde rapprochée visitent le stade d'Oyem, dans le nord du pays, le 9 janvier 2017.
La président gabonais Ali Bongo et sa garde rapprochée visitent le stade d'Oyem, dans le nord du pays, le 9 janvier 2017. © Steve JORDAN / AFP
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Déjà co-organisateur de la CAN en 2012, le Gabon accueille à nouveau la plus grande compétition footballistique du continent à partir de samedi.

D’Alger au Cap, c’est tout un continent qui retiendra son souffle samedi. L’Afrique, où le football suscite encore plus de passion qu’ailleurs, aura les yeux braqués sur un petit pays peuplé d’un million et demi d’habitants : le Gabon. C’est en effet à Libreville, dans la capitale de cet État pétrolier grand comme la moitié de la France, que sera donné le coup d’envoi de la Coupe d’Afrique des nations 2017, le plus grand événement footballistique du continent.

L’événement sera d’autant plus scruté qu’il se déroule dans un contexte bien particulier. Après la réélection très contestée d’Ali Bongo à l’élection présidentielle en fin d’année 2016, le Gabon vient de connaître une longue période de troubles post-électoraux, où les morts "accidentelles" et les disparitions non élucidées ont émaillé le décompte des voix et la bataille juridique que se sont livrés Ali Bongo et son rival, Jean Ping.

  • Une vitrine sportive pour le pouvoir politique

Officiellement, pas de quoi perturber la tenue de la compétition, malgré le bilan macabre de ces affrontements : cinq morts selon les autorités, entre 50 et 100 selon l’opposant Jean Ping. Même ensanglantée, la  "fête" vantée par Pablo Moussodji Ngoma, porte-parole du comité d’organisation de la CAN, aura bien lieu. C'est essentiel pour le régime, qui compte asseoir son autorité vacillante sur l’engouement suscité par la compétition, d’autant plus que les Panthères du Gabon, le surnom donné à la sélection nationale, ont rarement semblé aussi bien armées pour briller.

Emmenés par Pierre-Emerick Aubameyang, attaquant du Borussia Dortmund et joueur africain de l’année 2015, les joueurs gabonais vont devenir à partir de samedi la vitrine sportive du pouvoir, qu’ils le veuillent ou non. Car en Afrique plus qu’ailleurs, les sportifs jouissent d’un grand pouvoir auprès des populations : "Les résultats du foot, c'est une drogue sociale en Afrique", concède Alain Giresse, sélectionneur du Mali. Une drogue dont le clan Bongo raffole puisque le Gabon était déjà le co-organisateur de la CAN 2012, il y a cinq ans seulement...

  • Pelé, Messi, marathoniens et cyclistes en VRP

Outre le football, la famille Bongo a également investi dans le vélo, puisque depuis 2006, l’État gabonais finance en grande partie la Tropicale Amissa Bongo, l’une des plus grandes épreuves cyclistes du continent, qui attire des coureurs venus du monde entier. C’est Omar Bongo, père d’Ali, qui avait choisi à l’époque de baptiser la course au nom de sa fille. Le sport, définitivement une affaire de famille chez les Bongo puisque le gouvernement organise également le marathon de Libreville et sa version féminine plus courte, la Gabonaise.

À coups de pétrodollars, ces événements permettent au Gabon de s’offrir une belle visibilité au niveau continental. Mais ce n’est pas suffisant, puisque le clan Bongo ambitionne de se distinguer par le sport à l’échelle mondiale. En témoigne la surréaliste venue de Lionel Messi, star planétaire du ballon rond, à Libreville, en compagnie de son ancien coéquipier au Barça Deco en juillet 2015. A cette occasion, Ali Bongo s'improvise même chauffeur privé du numéro 10 argentin !

"La Pulga", invitée d’honneur d’Ali Bongo, s’était fendue d’une visite éclair pour poser la première pierre du stade de Port-Gentil. Coût de la manœuvre pour l’Etat, 3.5 millions d’euros selon plusieurs médias, bien que le gouvernement ait démenti dans la foulée. En 2012, Pelé lui-même s’était d'ailleurs rendu au Gabon pendant la CAN pour la modique somme de 4.6 millions d’euros.

  • Une compétition sous haute surveillance

Mais cette stratégie de "la politique par le sport" peut s’avérer risquée. D’abord parce que les millions versées aux stars du foot par le gouvernement Bongo ont agacé voire outré une partie de la société gabonaise. Mais surtout parce que les opposants politiques d’Ali Bongo ne cachent pas leur intention d’utiliser l'effervescence médiatique qui entoure la CAN pour dénoncer la situation gabonaise. Ainsi, la plateforme de la société civile gabonaise et plusieurs quotidiens nationaux ont appelé la population à boycotter l’événement. Nul doute que les autorités seront en alerte pour éviter toute perturbation de la compétition.

En attendant de voir dans quel climat cette CAN va se dérouler, les joueurs de l’équipe nationale, Pierre-Emerick Aubameyang en tête, évitent toute prise de position polémique. Bien conscientes que la moindre déclaration sur la situation politique peut mettre le feu aux poudres, les Panthères restent prudentes, à l'image de son attaquant star, qui s’était exprimé en pleine crise électorale : "Je ne suis pas un politicien mais un footballeur (…) La chose qui nous tient le plus à cœur et que nous vous demandons aujourd’hui est la paix." En 2005, l’Ivoirien Didier Drogba était ainsi devenu une icône dans son pays en lançant "l’appel de Khartoum".

Alors que les partisans de Ouattara et Gbagbo s’affrontent dans les rues des grandes villes du pays, le capitaine des Éléphants, qui viennent de se qualifier pour la première Coupe du monde de leur histoire, prend la parole dans une vidéo, qui marque le début d’une réconciliation encore fragile. Après les Éléphants, c'est désormais aux Panthères de marquer l’histoire de leur griffe.