Une Coupe au petit air français

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Propos recueillis par LAURENT DUYCK , modifié à
COUPE DE L'AMERICA - BMW Oracle et Alinghi ont été conçus par des architectes français.

COUPE DE L'AMERICA - BMW Oracle et Alinghi ont été conçus par des architectes français. Le duel entre BMW Oracle et Alinghi lors de la 33e Coupe de l'America sera aussi celui de deux cabinets d'architectes français, Van Peteghem-Lauriot-Prévost, qui a dessiné le trimaran américain, Irens-Cabaret, consulté pour la construction du catamaran suisse. Interviews croisées de Vincent Lauriot-Prévost et Benoît Cabaret. Pourquoi avoir fait le choix d'un trimaran chez Oracle ? Vincent Lauriot-Prévost: C'est essentiellement dû au fait que, au moment où nous avons été mandatés pour ce projet, nous ne connaissions ni la date, ni les conditions météo auxquelles nous serions confrontés. Dans les caractéristiques du bateau données par les Américains, il y avait une largeur définie, de 27 mètres de large. Dans l'idée de faire un multicoque aussi large que long, le trimaran nous semblait plus approprié, parce que sinon ça fait un catamaran assez lourd et peu raide en comportement de structure. On a donc choisi le bateau qui serait le plus polyvalent, capable d'avoir les meilleures performances aussi bien dans du vent fort que dans du vent faible. Pourquoi Alinghi a-t-il fait le choix d'un catamaran ? Benoît Cabaret: Pour faire dans la caricature, ces multicoques, que ce soit un catamaran ou un trimaran, n'auront de toute façon qu'une coque dans l'eau dans les conditions utilisées. Autrement dit, la différence entre trimaran et catamaran est globalement marginale. Ce n'est plus un choix cornélien ou philosophique, ça devient un choix technique en terme de rigidité de plate-forme. Sur un trimaran, la coque centrale ne sert qu'à assurer la rigidité longitudinale du gréement. En l'occurrence, c'est le cas chez Oracle puisqu'il n'y a plus aucun appendice sur la coque centrale. Sur un catamaran, c'est un peu le point faible. Mais là, les Suisses sont allés chercher une structure qui travaille en tension, avec tout un système de câbles sous la colonne vertébrale centrale qui assure la même fonction. Quels sont les meilleurs atouts de votre bateau ? Vincent Lauriot-Prévost: L'aile rigide, qui permet d'augmenter les performances du bateau dans les vents faibles, fait partie des meilleurs atouts. On s'est aperçu assez vite, dès que les Suisses ont commencé à montrer leur bateau et à parler du site où aurait lieu cette Coupe, qu'ils iraient chercher les vents faibles. Dès ce moment-là, il y a eu un certains nombres d'actions qui ont été entreprises pour essayer de décaler la polyvalence vers les vents faibles plus que vers les vents forts. On était un peu au milieu, bien positionné dans les 9-18 noeuds. Quand on a su les conditions proposées par les Suisses, on s'est décalé vers les 5 noeuds. Benoît Cabaret: Dans l'absolu, une chose impressionnante sur le bateau suisse, c'est effectivement la raideur qu'il a pour un catamaran. Il y a toute une structure qui tient le gréement qui permet d'avoir une base rigide et donc efficace. Quel regard portez-vous sur le bateau adverse ? Vincent Lauriot-Prévost: D'un point de vue conception structurelle, il est plutôt malin. C'est un bateau relativement étroit et pas très lourd non plus donc qui n'a pas beaucoup de couple de redressement. Donc, c'est vraiment un bateau dédié aux gammes de vent où il est à 100% de son moment de redressement, là où Oracle ne l'est pas encore et a de la réserve. C'est un bateau très typé. Benoît Cabaret: Je ne l'ai jamais vu de mes yeux, seulement sur photos. C'est un beau bateau, bien abouti, qui est certainement beaucoup plus dans la lignée des gros multicoques français, poussé à l'extrême dans ce sens-là. Et son côté le plus impressionnant, c'est son aile rigide qui le rend effectivement d'un pedigree différent de ce qu'ont été les multicoques océaniques tels qu'on les a connus. Cette Coupe de l'America a pour le moment surtout été un long feuilleton judiciaire, lequel pourrait d'ailleurs remettre en cause le résultat obtenu sur l'eau. Cette bataille dans les tribunaux a-t-elle nui à votre intérêt pour l'événement ? Vincent Lauriot-Prévost: Je ne suis pas d'accord avec cette analyse que cette Coupe aura été un long feuilleton judiciaire parce je n'ai pas vécu ça sous cet aspect-là. C'est peut-être ce qui a transpiré dans la presse mais, pour nous, ça a été une longue aventure technologique et d'optimisations. Chaque période de six mois supplémentaires aura été mise à profit pour faire du développement. C'est un exercice atypique pour nous de construire un bateau sans définir le cahier des charges d'utilisation dès le départ. C'est un exercice certes atypique mais qui était très enrichissant. J'ai adoré ce projet. Benoît Cabaret: Il y a eu des hauts et des bas. En tant qu'architecte, ce qui est intéressant, c'est de voir le résultat sur l'eau. Le point de vue des juristes est lui complètement différent, puisque leur but est de gagner au tribunal, donc ce qui se passe sur l'eau a pour eux un intérêt plus faible. Mais c'est vrai qu'on préférerait que ce soit davantage une bataille sur l'eau. Quel est votre pronostic ? Vincent Lauriot-Prévost: Je ne peux pas vous répondre parce que je ne saurai pas faire un pronostic très objectif. Et puis, il y a deux impondérables pour ce type de pronostic: le type de conditions météo qu'il y aura pendant ces manches parce que, à un ou deux noeuds d'écart, l'avantage sera pour l'un ou pour l'autre; et le degré de fiabilité des bateaux qui est assez difficile à cerner. Ce sont des bateaux qui ont été en développement jusqu'au dernier moment, aussi bien les Suisses que les Américains ont eu leurs petits problèmes de mise au point. Je pense que les Américains ont eu pas mal de temps pour fiabiliser mais il y a eu aussi beaucoup d'innovations en cours de route tandis que les Suisses, qui ont mis leur bateau à l'eau plus tard, ont été plus conservateurs dans le développent de leur bateau. Ça devrait donc être assez équitable. Benoît Cabaret: Joker ! Ça dépend de tellement de choses... Déjà, on ne connaît pas les différentiels de vitesse des deux bateaux. On est bien placé pour le savoir, chaque fois que l'on met un bateau à l'eau, on se trouve toujours très rapide quand on navigue seul (rires). Aujourd'hui, je suis incapable de vous dire si l'un des deux bateaux va aller plus vite que l'autre et dans quel sens ça sera. Je suis donc tenté de vous dire, comme Vincent, que ça dépendra des conditions et de la fiabilité des bateaux qui devront résister aux conditions dans lesquelles ils seront utilisés.