Violences à la fac de Montpellier : l'affaire en trois actes

Les violences ont été commises à la fac de droit de Montpellier.
Les violences ont été commises à la fac de droit de Montpellier. © Capture d'écran Goolge street view
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avec AFP , modifié à
Une semaine après la violente expédition punitive commise par des hommes cagoulés sur des étudiants grévistes, la tension reste vive au sein de la faculté de droit.

L'université est l'une des plus anciennes de France, fondée au 13ème siècle. Son prestige repose depuis sur deux piliers principaux : la médecine et le droit. Pourtant, rien ne va plus à la fac de Montpellier. Une semaine après les violences commises sur des étudiants qui bloquaient l'établissement, celui-ci était toujours fermé, jeudi. La progression de l'enquête, dans laquelle le doyen de la faculté et un professeur ont été mis en examen jeudi soir, ne satisfait pas les étudiants et les associations, qui réclament des "mesures conservatoires" et l'organisation d'une "marche pour la justice". Europe1.fr retrace la chronologie des faits et des investigations.

Acte 1 : Des étudiants violemment expulsés

Dans la nuit du jeudi 22 au vendredi 23, quelques dizaines d'étudiants occupent l'amphithéâtre de la fac de droit de Montpellier. Depuis plusieurs semaines, ils organisent des blocages pour protester contre la réforme d'accès à l'université. Il est minuit et l'ambiance est bon enfant, entre pique-nique et jeux de cartes. Soudain, l'atmosphère bascule. Une douzaine d'hommes cagoulés surgissent, armés de tasers et de planches de bois. Ils tapent "sur tout ce qui bouge", racontera un étudiant. Des vidéos diffusées sur des pages Facebook confirment la violence des faits, commis par plusieurs hommes grimés.

Quelques heures plus tard, la ministre de l'Enseignement supérieur annonce l'ouverture d'une enquête administrative. La Ligue des Droits de l'Homme 34 relaie les images de la soirée et dénonce les actions d'une "milice privée", composée d'individus "cagoulés et armés, aux côtés des vigiles de la faculté". "Plusieurs étudiants ont été blessés, des insultes à caractères raciste et homophobe ont été proférées", indique par ailleurs un communiqué d'organisations syndicales. L'inspection générale de l'administration de l'Education nationale promet de se rendre sur les lieux au plus vite. En attendant, le président de l'université annonce sa fermeture temporaire.

Acte 2 : Une enquête sous tension

Au fil des heures, les témoignages pointent certains enseignants de l'université, mais aussi le doyen de la fac de droit, Philippe Petel. Au micro d'Europe 1, l'un des occupants affirme avoir vu ce dernier "faire entrer des hommes masqués armés de bouts de bois". "Je me suis fait taper, j'ai pris des coups à la tête et à ce moment-là, j'ai vu un prof de droit dévaler l'escalier", témoigne un étudiant. "Après, j'ai appris qu'il avait frappé des gens." Sous pression, Philippe Petel remet sa démission, vingt-quatre heures après l'expédition punitive.

Le doyen donne en outre sa version des faits à Libération, évoquant une "réunion d'information" transformée en assemblée générale, qui l'a poussé à demander l'intervention des forces de l'ordre. "Mais la préfecture a refusé. À la nuit tombée, les esprits se sont échauffés, il y a eu des échauffourées, un de mes collègues a reçu un coup de poing. Il y avait des vigiles, 4 ou 5 profs et une cinquantaine d'étudiants de notre faculté." Quant à la présence d'enseignants parmi les hommes cagoulés de la vidéo : "C'est possible, les gens de la fac de droit défendaient leur fac. (...) Je ne suis pas à l'initiative de la venue de ces hommes en noir. On attendait la police."

Dans les rues de Montpellier, dimanche, un face-à-face tendu oppose des militants antifascistes et une trentaine d'identitaires de la Ligue du Midi. "Fachos, ni dans nos facs, ni dans nos rues", indique une banderole déployée par des étudiants. Le président de la faculté annonce que celle-ci ne rouvrira pas lundi matin. Dans de nombreuses interviews, des étudiants présents dans l'amphithéâtre le jeudi soir déplorent de ne pas encore avoir été entendus par les enquêteurs, jugés trop lents. Au moins huit d'entre eux portent plainte contre X.

Acte 3 : Le doyen et un professeur mis en examen

Deux jours plus tard et alors que les cours sont toujours suspendus, l'enquête s'accélère brutalement, mercredi. Mis en cause par plusieurs victimes et témoins, le doyen et un enseignant sont placés en garde à vue. Le premier, professeur agrégé de droit privé, a formé des générations de magistrats et d'avocats en 20 ans de carrière montpelliéraine. Le second, Jean-Luc Coronel de Boissezon, co-dirige le master II d'Histoire du Droit. Ses étudiants et collègues le décrivent comme "très conservateur". Dans un mail adressé à Libération, il reconnaît sa présence sur les lieux, non cagoulé. Et ne nie pas avoir participé aux violences, sans reconnaître les avoir initiées : "Je n'ai pas l'habitude, lorsque je suis agressé, de rester passif."

Tous deux ont été mis en examen jeudi soir. Philippe Pétel, qui a démissionné après les incidents, a été mis en examen pour "complicité d'intrusion", et Jean-Luc Coronel pour "complicité d'intrusion" et "violences en récidive" - en raison d'une condamnation datant de 2013. Ils ont été placés sous contrôle judiciaire. Les deux hommes sont en outre suspendus dans leurs fonctions. "C'est une décision que la LDH et l'Intersyndicale des personnels attendaient", commente Sophie Mazas, présidente de la Ligue des droits de l'Homme de l'Hérault. "Mais tant que les personnes qui étaient sous les cagoules n'auront pas été identifiées et sanctionnées, nous resterons dans une demi-mesure". Plusieurs autres doctorants, chargés de travaux dirigés, sont notamment accusés d'avoir fait partie du commando cagoulé.

Les conclusions de l'enquête administrative sont attendues à la fin de la semaine. Le président de l'université a annoncé que la faculté ouvrirait à nouveau mardi 3 avril, ce que l'intersyndicale juge prématuré. D'ici là, plusieurs rassemblements et manifestations sont prévus à Montpellier. Au sein-même de la fac, la division dépasse désormais le projet de réforme de la sélection à l'université : un comité de mobilisation s'est créé pour soutenir les "victimes" de l'expédition punitive, tandis que d'autres étudiants soutiennent le doyen, invoquant l'importance de la présomption d'innocence.