Dans son livre "Osons vaincre l’illettrisme", Thierry Lepaon décrypte l'illettrisme français et donne des pistes pour y faire face. 1:43
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Ugo Pascolo , modifié à
Le délégué interministériel à la langue française pour la cohésion sociale signe un livre qui décrypte le phénomène de l'illettrisme en France et dans les entreprises.
INTERVIEW

Environ trois millions : c'est le nombre de Français victimes de l’illettrisme. Invité d'Europe 1 bonjour, Thierry Lepaon, délégué interministériel à la langue française pour la cohésion sociale et ancien leader de la CGT, en a fait son nouveau cheval de bataille depuis une vingtaine d'années. Dans son livre "Osons vaincre l’illettrisme", il décrypte le phénomène et donne des pistes pour y faire face.

Des "stratégies de contournement" très bien pensées. "C'est avec la fermeture des usines Moulinex [en 2001, ndlr] que je découvre que les gens qui étaient à mes côtés tous les jours pendant dix ou quinze ans, y compris les représentants du personnel ne savent pas lire, ni écrire", révèle Thierry Lepaon. Comment peut-on travailler tous les jours aux côtés de quelqu'un sans se rendre compte qu'il est illettré ? "Les stratégies de contournement sont d'un tel niveau, d'une telle intelligence qu'on ne le voit pas". "Ils se promènent avec un crayon à la main, ils ont un cahier, ils font semblant de lire des choses, presque de prendre des notes", explique le délégué interministériel. "Mais en fait, la page est blanche". 

Apprendre et désapprendre. "Environ une personne sur deux victimes d'illettrisme va au travail tous les jours", dévoile l'ex-leader de la CGT. "Souvent, cette personne n'a pas été embauchée illettrée, elle l'est devenue". "Il y a une telle différence entre son travail et sa formation, qu'une personne illettrée n'a pas entretenu ses acquis scolaires et a fini par désapprendre", explique-t-il au micro d'Europe 1. "L'écriture et la lecture, ce n'est pas comme le vélo : on peut désapprendre". Pour repérer le phénomène, Thierry Lepaon indique qu'il faut faire attention aux petites formules du quotidien : "'j'ai oublié mes lunettes', 'je vais en parler à mon mari', 'je vais faire ça tranquillement à la maison ce soir'. Derrière toutes ces petites phrases anodines, il peut se cacher un handicap de lecture et d'écriture", indique-t-il. 

Réapprendre le français dans les entreprises. Alors comment lutter contre ce tabou ? "Il faut déjà commencer par arrêter d'en produire", résume le délégué. "L'école a un taux de réussite de 95% pour la lecture et l'écriture, c'est bien. Mais il faut atteindre les 100%". "En ce qui concerne le travail, il faut faire en sorte que l'on puisse apprendre et réapprendre le français dans les entreprises", explique Thierry Lepaon. "Quand on regarde un plan de formation d'une grande entreprise, on peut apprendre le mandarin, l'anglais, mais pas le français". "Dans notre système, on considère qu'une fois qu'on est passé par l'école, on sait les choses, mais ce n'est pas vrai". 

La Loire, "frontière" de l'illettrisme en France

"En ce qui concerne l'illettrisme, la France est 'coupée en deux', et la limite c'est la Loire", révèle Thierry Lepaon. "Au Sud de la Loire, il y a moins d'illettrisme qu'au Nord". "On explique cette situation par des questions géopolitiques, industrielles et sociales", détaille-t-il. "Mais il y a un autre parallèle à faire avec la pauvreté : on remarque que la courbe de la pauvreté suit celle de l'illettrisme". "Cela signifie que l'on n'est pas tous logés à la même enseigne et que suivant que l'on soit socialement reconnu ou pas, les situations d'illettrisme ne sont pas les mêmes", explique le délégué interministériel à la langue française pour la cohésion sociale.