"Théorie du genre" : une rumeur "très classique", mais…

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Alexis Toulon , modifié à
LE POINT DE VUE DE - Gérald Bronner, spécialiste de la rumeur, pointe la prise de parole inhabituelle des médias dans le débat.

L’INFO. En quelques jours, la rumeur a pris tant d’ampleur que le ministre de l'Education a dû intervenir pour y couper court. La polémique autour du supposé enseignement de la "théorie du genre" à l’école a effrayé des parents qui pour protéger leur enfants, ont décidé de boycotter l’école. Pourtant, les informations diffusées sur internet par des groupuscules d’extrême droite et relayées via des mystérieux SMS et sur les réseaux sociaux sont fausses ou falsifiées. Alors, pourquoi cette "rumeur" s'est-elle propagée avec une telle efficacité ?

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Cette rumeur est-elle exceptionnelle ? Cette rumeur ressemble à toutes les autres bonnes recettes de rumeurs. Elle a un excellent effet d’implication car elle touche à la valeur la plus fondamentale des sociétés occidentales : l’enfant. Tout le monde s’inquiète de ce qui peut arriver à ses enfants et à leur éducation. Dans 90% des cas, la rumeur met en garde contre un comportement que l’on pourrait avoir et que l’on estime dangereux, même si c’est infondé. A cela s’ajoute un défaut d’information sur le fond du problème et une sur-communication par des groupes d’opposants très motivés.

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Du point de vue de sa diffusion, rien de particulier non plus, les SMS et les réseaux sociaux ou plus largement internet sont des outils classiques pour propager la rumeur. Toutefois, c’est probablement la première fois en France que les médias se saisissent d’une rumeur pour la démentir, preuve que le phénomène inquiète. A cela s’ajoute une reprise par la sphère politique. Le tout alimente la rumeur.

Page FB europe 1 théorie du genre

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La rumeur est-elle un outil classique de communication des groupes d’extrême-droite ? On est dans une situation très classique de prise de parole d’un groupe minoritaire. Internet a permis à l’information d’être mise en concurrence, comme n’importe quel bien de consommation, sur un marché, que j’appelle marché cognitif. Sur ce dernier, les connaissances, mais aussi les croyances et les hypothèses diverses et variées sont en concurrence les unes avec les autres. Le public leur accorde donc une valeur, qui varie dans le temps.

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Dans le cas de la rumeur sur l’école, la masturbation et les "études du genre", il y a une position d’oligopole : le gouvernement voit sa thèse, la position dominante, concurrencée par Egalité et Réconciliation avec une autre théorie. Or, ses membres sont très actifs et très motivés et dominent le marché sur cette question, malgré leur faible nombre. En économie, on appelle ça le paradoxe d’Olson. En jouant sur les peurs fondamentales, les groupes radicaux cherchent à canaliser l’attention du public sur leurs thématiques.

Capture d'écran du site Egalité et Réconciliation

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Combien de temps peut durer cette rumeur ?

Les rumeurs, particulièrement avec internet, sont oscillatoires. Celle-ci va donc exploser à un moment, puis réapparaître, comme un serpent de mer. La structure est très classique. On se transmet l’information de bouche-à-oreille, par une personne de confiance. Souvent, les gens ne croient pas à 100% l’information donnée, mais par principe de précaution, la retransmettent. Le problème est que celui qui donne l’information n’en connaît pas l’origine, car si elle était connue, elle s’arrêterait immédiatement.

Quel est le rôle des médias et des politiques dans cette affaire ? Il ne faut pas croire que le politique est coupable dans cette affaire. Les dirigeants découvrent souvent l’ampleur des craintes du public lorsqu’ils avancent sur un sujet, particulièrement de société. Au contraire, s’ils avaient trop communiqué en amont pour couper court à une potentielle rumeur, le discours aurait été insupportable et inaudible.

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Quant aux médias qui ont pris position dans le sens du gouvernement, ils se retrouvent dans une situation ambivalente. D’un côté ils alimentent la dialectique complotiste et anti-système d’Egalité et Réconciliation. Mais d’un autre, ils déconstruisent méthodiquement les arguments fallacieux de la rumeur et contribuent à l’éteindre. En effet, si Egalité et réconciliation a un pouvoir d’influence sur un temps donné, il ne domine pas la société française, loin de là, et le travail de déconstruction va porter ses fruits.

>>> Depuis 2012, Gérald Bronner est professeur à l’université Paris-Diderot. C’est un chercheur spécialisé dans les croyances collectives. Régulièrement récompensé pour son travail, il a notamment reçu le Prix de la Revue des deux Mondes pour son livre La démocratie des crédules, publié en 2013

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