Suppression du redoublement à l'école : "on est dans le flou"

Depuis l'entrée en vigueur d'un décret en 2015, les élèves français ne peuvent plus redoubler qu'à quelques strictes conditions
Depuis l'entrée en vigueur d'un décret en 2015, les élèves français ne peuvent plus redoubler qu'à quelques strictes conditions © AFP
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Margaux Lannuzel
Un décret entré en vigueur en 2015 réduit l'utilisation du redoublement à des situations  "exceptionnelles". Mais les mesures alternatives peinent à se mettre en place.

Jules a six ans. En juin, il a terminé son année de CP dans une école de l'Oise, avec quelques difficultés d'apprentissage. "Il n'arrive pas du tout à faire l'association des sons : à partir du moment où un mot dépasse deux syllabes, il est complètement perdu", explique à Europe 1 sa maman, Jenifer. A la fin de l'année scolaire, cette dernière a demandé le redoublement de son fils afin qu'il puisse maîtriser la lecture avant d'accéder au CE1. Mais cette requête lui a été refusée, les lacunes de son fils étant jugées insuffisantes.

"Une énorme rupture des apprentissages". L'exemple de Jules est loin d'être isolé : depuis l'entrée en vigueur à l'automne 2015 d'un décret "anti-redoublement", cette méthode n'est plus appliquée que dans trois cas précis. Les élèves sont autorisés à redoubler s'ils n'obtiennent pas le diplôme passé après leur année scolaire, par exemple en terminale en cas d'échec au bac, ou s'ils ne sont pas satisfaits du choix proposé par l'équipe pédagogique à l'issue d'une classe dite "d'orientation" - la 3ème ou la 2nde. Pour les autres niveaux, le redoublement n'est autorisé qu'"à titre exceptionnel", "pour pallier une période importante de rupture des apprentissages scolaires", comme une absence prolongée pour des raisons médicales. Dans tous les cas, il n'est plus possible de faire redoubler un élève de maternelle.

Entendu sur europe1 :
Sur le long terme, les redoublants vont être handicapés dans leur scolarité

Ce décret s'inscrit dans une réflexion engagée depuis des années, sur  le redoublement et son efficacité en France. Selon un rapport du Conseil national d'évaluation du système scolaire (Cnesco), publié en 2015, les études scientifiques ont prouvé que redoubler "a toujours un effet négatif sur les trajectoires scolaires et demeure le meilleur déterminant du décrochage"."C'est difficile à comprendre pour les parents, pour la simple et bonne raison que la première année du redoublement, les résultats de l'élève s'améliorent par rapport à l'année précédente", précise sur Europe 1 Nathalie Mons, sociologue et membre du Cnesco. "Mais, sur le long terme, ces élèves vont être handicapés dans leur scolarité, et au bout de quatre ou cinq ans, leur niveau va être plus faible que celui des élèves de même niveau qui n'auraient pas redoublé."

Des cycles de trois ans. Si elle a été longtemps mûrie, cette réduction drastique a des allures de défi pour la France, l'un des pays champions de la discipline : en 2012, 28% des élèves âgés de 15 ans déclaraient avoir redoublé au moins une fois selon le Programme international pour le suivi des acquis des élèves (Pisa). Pour accompagner la transition et permettre une meilleure identification des élèves "décrocheurs", des "cycles" de trois ans (CP-CE2, CM1-6ème et 5ème-3ème) ont été mis en place à la rentrée 2016. A la fin de chacun d'entre eux, des bilans de compétence doivent permettre de vérifier que les notions clés sont bien acquises.

Est-ce suffisant ? En plus de ces cycles, l'état des lieux établi par le Cnesco sur le redoublement listait une série de mesures alternatives pour accompagner les élèves en difficulté. Parmi les solutions envisagées figuraient notamment la création d'un "professeur des apprentissages fondamentaux", spécifiquement formé pour suivre un groupe d'élèves du CP au CE2, ou la mise en place d'un examen de "rattrapage", organisé en septembre après des "écoles d'été" pour les élèves dont les résultats ont été insuffisants pendant l'année scolaire. A la rentrée 2016, Najat Vallaud-Belkacem affirmait que le gouvernement entendait "mettre les moyens" sur ces mesures alternatives. 

Entendu sur europe1 :
La suppression du redoublement semble pour l'instant se faire sans accompagnement spécifique

"On est dans le flou". Mais pour les élèves privés de redoublement cet été, "on est dans le flou", selon Eric Charbonnier, expert éducation à l'OCDE, interrogé par Europe 1.fr. "Pour l'instant, en France, on est toujours dans un système d'accumulation qui fait qu'un élève qui décroche continue de décrocher. Je ne crois pas que, dans la majorité des école primaires, on ait demandé aux élèves en difficulté de venir en cours une semaine avant la rentrée'", poursuit-il. Et d'estimer : "la suppression du redoublement semble pour l'instant se faire sans accompagnement spécifique."

Reste que le rapport du Cnesco ne préconisait pas de mesures à généraliser rapidement, mais des expérimentations "qui devront être évaluées scientifiquement, pour proposer progressivement des alternatives au redoublement sur les dix prochaines années". "Tout est en rodage, des mesures sont testées", confirme Eric Charbonnier. L'enjeu est désormais  d'identifier rapidement les mesures efficaces, pour ne pas laisser les élèves en difficulté sans solution. Une "nécessité", selon l'expert de l'OCDE.