Souffrance animale : entre les associations et la FNSEA, une longue guerre de communication

À gauche, des militants de l'association L214, le 31 octobre dernier. À droite, Christiane Lambert, la présidente de la FNSEA, également en octobre.
À gauche, des militants de l'association L214, le 31 octobre dernier. À droite, Christiane Lambert, la présidente de la FNSEA, également en octobre. © Montage AFP
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Thibauld Mathieu , modifié à
Sur Europe 1, la présidente de la FNSEA a fermement répondu mardi aux vidéos de Sophie Marceau, Brigitte Bardot et Rémi Gaillard contre la maltraitance animale, alors que l'Assemblée examine le projet de loi agriculture et alimentation.

Sophie Marceau, Brigitte Bardot, Rémi Gaillard… Alors que s’est ouvert mardi l’examen du projet de loi sur l’agriculture et l’alimentation, plusieurs personnalités ont décidé de donner de la voix contre la maltraitance des animaux, relayant les images chocs d'associations comme L214. La FNSEA, principal syndicat agricole, minimise quant à elle les pratiques décriées. Sur Europe 1 mardi, sa présidente Christiane Lambert n'a pas hésité à parler d'un "militantisme radicalisé".

Des images violentes pour secouer l'opinion

À grands coups de vidéos clandestines tournées dans des élevages et des abattoirs, L214 a fini par s'imposer dans le débat public sur les animaux depuis plusieurs années. Poussins broyés vivants, poules couvertes de parasites, moutons écartelés, bovins saignés à vif, porcs asphyxiés : l'association fondée en 2008 par deux militants "végans" entend secouer l'opinion via des images choquantes.

Lundi et jeudi dernier, deux vidéos épinglaient ainsi les pratiques d'élevages de poules en cages dans la Somme et la Manche. Dimanche, une autre montrait les gallinacés côtoyer des cadavres fossilisés de volatiles dans une usine des Côtes d’Armor, le tout commenté par Sophie Marceau.

Des stars pour donner davantage de visibilité

Les associations de défense et de protection des animaux peuvent en effet compter sur le soutien de plusieurs célébrités. Outre Sophie Marceau, Brigitte Bardot et Rémi Gaillard ont pris la parole lundi pour réclamer la vidéosurveillance dans les abattoirs, comme l'avait promis le candidat Emmanuel Macron.

Le petit film diffusé sur les réseaux sociaux montre l'actrice dans son jardin de La Madrague, découvrant de nouvelles images de l'abattoir d'Alès, dans le Gard, tournées en caméra cachée en février 2018 selon Rémi Gaillard. Des vaches vivantes suspendues par la patte, un cochon frappé quand il tente de fuir... "Il y a un petit veau qui vomit le lait qu'il a tété de sa mère !", s'insurge "BB", effarée. "Les animaux doivent être étourdis avant la saignée !"

Avec cette vidéo, l'ex-actrice a expliqué à l'AFP vouloir toucher "un maximum de gens, pour leur demander de faire attention à ce qu'ils mangent quand ils mangent un bifteck ou une côte de porc".

"C'est facile de se servir d'égéries pour faire passer un message", a de son côté critiqué le vice-président de la FNSEA, Etienne Gangneron, lui aussi interrogé par l'AFP. "Je veux bien que Sophie Marceau se découvre une passion pour les poules, c'est bien que les gens se passionnent pour ce sujet-là, mais regardons quelques réalités d’éleveurs. J'ai envie de l'inviter à venir visiter un élevage", a aussi taclé la présidente du syndicat.

Ces critiques ne semblent pas affecter Brigitte Gothière, cofondatrice et porte-parole de L214. "Le fait que des personnalités s’expriment légitime ce combat", souligne cette ancienne enseignante de physique appliquée dans Le Parisien.

Rémi Gaillard s'était d'ailleurs déjà enfermé dans une cage pour dénoncer la condition d'un animal de la SPA. L'animateur Stéphane Bern, lui, avait aussi prêté sa voix à L214, tout comme les actrices Hélène de Fougerolles et Pamela Anderson, qui ont par le passé participé à des campagnes de sensibilisation. Vendredi dernier, à la veille de la feria de Pentecôte de Nîmes, dans le Gard, l'ancienne star de la série Alerte à Malibu a notamment dévoilé une pétition contre la corrida, ayant recueilli plus de 500.000 signatures.

Un calendrier soigneusement choisi

Les dates de ces opérations ne sont jamais liées au hasard. L'objectif est clair : peser directement dans le débat. "L214 sort ces vidéos non pas pour protéger les animaux mais dans un calendrier politique", dénonce ainsi le vice-président de la FNSEA, à propos de la vidéo relayée par Sophie Marceau, dont les images datent du mois de mars. "S'ils voulaient protéger les animaux, ils l'auraient publiée avant", argue-t-il à l'AFP.

L'offensive en faveur de la cause animale se fait généralement de façon groupée. Greenpeace a par exemple dévoilé lundi une étude estimant que les enfants consomment trop de protéines animales à la cantine, sans véritable offre alternative végétarienne.  

Les associations tentent ainsi de peser sur les députés, qui examinent mardi le projet de loi sur l'agriculture et l'alimentation. Il faut dire que le texte discuté fait l'impasse sur plusieurs promesses du candidat Macron : l'amendement LREM visant à interdire à la vente les œufs pondus par des poules en cage a été retiré par le gouvernement le 20 avril, tout comme la proposition du député Oliver Falorni de rendre le contrôle vidéo obligatoire dans les abattoirs.

Tribunes, pétitions, incitations à écrire à son député. Pour les associations, tous les moyens sont bons pour avoir voix au chapitre. En décembre dernier, 21 ONG parmi lesquelles L214 et la Fondation Brigitte Bardot, mais aussi 30 Millions d'Amis, PETA France ou la SPA avaient déjà adressé une lettre ouverte à Emmanuel Macron pour lui demander d'interdire l'élevage des poules pondeuses. Une requête visiblement pas suivie d'effets.

Un "militantisme radicalisé" selon les syndicats agricoles

Patronne de la FNSEA et éleveuse de porcs dans le Maine-et-Loire, Christiane Lambert a toujours reproché à l'association L214 son "prosélytisme" anti-viande et des "montages" vidéo qui "ne montrent que ce qui ne va pas". "Ces images existent, mais elles représentent une à deux minutes sur 60 minutes de films", a-t-elle répété mardi au micro de la matinale d'Europe 1. Pourtant, de plus en plus de témoignages mettent en lumière les méthodes choquantes de certains abattoirs. Parmi eux, celui de Mauricio Garcia Pereira. Salarié pendant sept ans dans l'abattoir de Limoges, l'homme de 49 ans a lancé l'alerte en filmant de près la maltraitance animale pour L214. Une maltraitance quotidienne, selon lui. "Vous n'avez vu que quelques images, moi j'en ai vu des milliers. J'ai des milliers de veaux dans ma tête", raconte-t-il sur Europe 1

Si la FNSEA s'efforce de minimiser les faits, c'est aussi pour mieux isoler ces associations, coupables selon elle d'un "militantisme radicalisé". "Aujourd'hui, c'est l'anti-viande qui prend le pas sur le bien-être animal. Leur finalité, c'est l'arrêt de l'élevage, libérer les animaux et vider les abattoirs. C'est une autre société !", souligne-t-elle.

Tout comme Laurent Pinatel, le porte-parole de la Confédération paysanne, dénonçait en octobre dernier une association "enfermée dans une idéologie complètement déconnectée de ce que peut être la réalité des éleveurs", Christiane Lambert s'évertue aussi à pointer du doigt l'attitude "stigmatisante" de ces associations vis-à-vis d'éleveurs déjà sous forte pression.

"Il y a eu un appel lancé aux députés pour arrêter les poules en cages. Moi j'ai envie d'appeler les députés pour arrêter les faillites d'agriculteurs. Est-ce que ce n'est pas aussi important ?", a-t-elle encore lancé mardi, redirigeant le curseur sur la situation des agriculteurs. Et d'appuyer : "quand ils entendent ces sujets-là, ils se demandent si on vit tous dans le même pays."

Face à la pluie d'amendements déposés par les députés, l'Assemblé nationale siègera finalement le week-end prochain sur le projet de loi concernant l'agriculture et l'alimentation. Le vote en première lecture se déroulera quant à lui le 30 mai.