Sans emploi, sans étude : qui sont ces 1,8 million de jeunes hors du système ?

Jeune jeunes jeunesse
IMAGE D'ILLUSTRATION - Il y a, en France, 1,8 million de jeunes "Neet", qui n'ont ni emploi, ni études, ni formation. © PHILIPPE DESMAZES / AFP
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On les appelle les "Neet" : des jeunes qui ne suivent pas d’étude, n’exercent pas d’emploi et ne bénéficient d’aucune formation en alternance ou en stage.

Ils seraient près de 1,8 million de jeunes à être "hors système" en France, selon Eurostat. Les "Neet" (Neither in Employment, Education or Training) représentent environ 17% de la jeunesse française, selon des données compilées dans un rapport de France stratégie présenté la semaine dernière à la ministre du Travail et au Premier ministre. Cette appellation, utilisée depuis 2010 par l’Union européenne et l’OCDE, désigne les jeunes de 15 à 29 ans qui ne suivent pas d’étude, n’exercent pas d’emploi et ne bénéficient d’aucune formation en alternance ou en stage. Parmi eux, 460.000 sont carrément considérés comme "invisibles", soit l’équivalent de la population de la ville de Toulouse. En clair, ils échappent à tous les radars institutionnels : ils ne sont pas comptabilisés par Pôle emploi, ne sont inscrits à aucun organisme d’étude ou de formation et ne sont suivis par aucune mission locale. Europe 1 s’est intéressé au profil de ces jeunes "sans rien", et à leur possibilité de rebondir.

  • Les "Neet" sont plutôt majeurs… et pas forcément aidés par leurs parents

Avec 17% de "Neet", la France se situe au-dessus de la moyenne européenne et de l’OCDE (autour de 14%) et loin devant les Pays-Bas (8%), l’Allemagne (9%) ou la Suède (9,5%) par exemple. Mais cette catégorie de "Neet" regroupe un large panel de profils différents. Il y a, d’abord, des différences en fonction de l’âge : seulement 3% des Français de 15-17 ans sont des "Neet" mais la proportion monte à 16% pour les 18-24 ans et 20% pour les 25-29 ans. Quant aux "invisibles", ces "Neet" qui ne sont accompagnés par aucune institution, les proportions sont à peu près les mêmes, à en croire France Stratégie : en 2012, il y avait 60.000 jeunes de 15 à 19 ans hors de tout radar, 130.000 de 20 à 24 ans et 270.000 de 25 à 29 ans

 

NEET 1280

 

"Je détestais l’école, je haïssais l’école même. Après ma 3e, mes parents m’ont inscrit dans un Bac pro vente. Je suis parti au bout de deux jours", se souvient Jimmy (prénom modifié), 23 ans. Passionné de cinéma et de dessin, capable de citer de tête le nom des acteurs de tous les films de Fellini ou toutes les œuvres de Dali, Jimmy "ne s’est jamais senti à sa place" dans le système classique. Après quelques petits boulots et des stages de remises à niveau, il est resté un an et demi sans aucune activité, à vivre chez ses parents. Sans diplôme et avec peu d’expérience, il a essuyé les portes closes des employeurs et le silence des agences d’Intérim. "Je tournais en rond, je regardais des films, je jouais avec une balle de tennis dans ma chambre. Je dessinais, j’écrivais des scénarios, assez noir d’ailleurs !", raconte-t-il.

La plupart des "Neet" bénéficie de l'aide de leurs parents. Mais France Stratégie évalue à 190.000 le nombre de ces jeunes hors systèmes et privés de tout soutien familial. Enfin, seuls un "Neet" sur quatre de 18 à 24 ans dispose d’un logement autonome. Les autres vivent encore chez leurs parents… ou sont à la rue, pour environ 30.000 d’entre eux.

  • Différentes raisons, différentes régions

Pour 60% des "Neet", leur inactivité dure depuis plus d’un an. Et tous n’invoquent pas forcément leur difficulté à trouver un emploi ou une formation adéquate. Ainsi, 13% des "Neet" le sont en raison de responsabilité familiales, après avoir eu un enfant par exemple. Et 6% arguent des raisons de santé ou un handicap. On observe, également, une surreprésentation des jeunes issus de l’immigration : leur part atteint 25 %, alors qu’ils représentent environ 15 % de cette tranche d’âge.

Le taux de NEET est par ailleurs particulièrement élevé en zone rurale : 24,4 % des 18-24 ans y vivent, contre 20,8 % en zone urbaine. En effet, plus un jeune est éloigné de la ville, plus il a des difficultés pour accéder au marché de l’emploi et aux services d’accompagnement. Souvent en difficulté financière, ils peinent également à s’acheter une voiture et même à se payer le permis : le taux de possession du permis des 750.000 jeunes suivis en Mission locale (les services départementaux d’accompagnement des jeunes peu ou pas "insérés") s’élève par exemple à 37%, contre 80% pour la moyenne nationale.

 

Carte NEET 1280

 

Enfin, un nouvel élément est entré en compte ces dernières années : l’apparition du numérique. "Les taux moyens d’équipement sont élevés chez les jeunes : 90 % des 18-24 ans ont au moins un ordinateur et l’accès à internet au domicile. Mais les jeunes suivis en mission locale paraissent moins bien lotis : leur taux d’équipement est inférieur d’environ 10 points ; leurs compétences numériques (usage récréatif) ne sont pas adaptées à l’insertion professionnelle avec un usage limité de l’e-mail, de la bureautique et des services utiles en ligne", décrypte France stratégie.

  • De quelles aides peuvent-ils disposer ?

Les deux acteurs principaux vers lesquels peuvent se tourner les jeunes les moins "insérés" sont Pôle emploi et les Missions locales. Si le premier n’est compétent que pour chercher un emploi, les agents des Missions locales proposent un accompagnement plus général : aide à la recherche d’une formation, d’un service civique, rédaction de CV, apprentissage des outils numériques etc. Côté finances, les jeunes de moins de 25 ans sans enfants et qui n’ont jamais travaillé n’ont ni le droit au RSA, ni aux allocations chômage. Ils peuvent toutefois demander une "Garantie jeune", une aide à l’insertion des jeunes précaires mises en place en 2013 : le jeune touche une allocation de 461 euros mensuels et il s’engage à suivre assidûment divers stages d’insertion en entreprise.

" La Mission locale ne m’a servi à rien "

Le hic : la plupart des dispositifs d’insertions pour les jeunes "hors système" ne sont pas connus des principaux concernés. "La notion de ‘droits sociaux’ leur parle peu. Ils en ont une connaissance imparfaite ou peuvent se décourager face à certaines démarches" pouvant durer jusqu’à "plusieurs années", note France stratégie. En 2015, par exemple, seuls 50.000 jeunes ont bénéficié d’une Garantie jeune (qui n'est vraiment généralisée que depuis cette année). "Certains jeunes font également l’impasse sur les parcours d’accompagnement, par aspiration à l’indépendance et parce qu’ils donnent la priorité à l’emploi, mais aussi par incompréhension des délais de mise en œuvre ou par distance à l’offre de formation après un échec scolaire", poursuit le rapport.

  • Les missions locales en manque de moyens  

En outre, les Missions locales, par qui passe l'obtention de la Garantie jeune, n’ont pas toujours les moyens des ambitions qu’on leur prête. Peu connues du grand public (elles ne sont jamais évoquées au sein du parcours scolaire et ne bénéficient d’aucune campagne de communication nationale), elles ne sont pas logées à la même enseigne selon les régions. Toutes disposent à peu près d’un même budget. Or, elles n’ont pas le même nombre de jeunes sous leur responsabilité. "Les DOM, le Nord, le bassin lorrain, le pourtour méditerranéen, la Corse et certaines zones rurales enclavées concentrent plus de jeunes en difficultés. Mais les écarts entre les territoires ne sont pas compensés par des moyens plus importants là où il y en aurait le plus besoin", note France Stratégie. Dans ces départements en difficulté, seuls 10% des "Neet" reçoivent un accompagnement en Mission locale, contre 35% dans les départements les mieux dotées.

"La Mission locale ne m’a servi à rien", tranche pour sa part Jimmy, originaire des Alpes-Maritimes. "Elle m’écoutait mais ne me proposait jamais rien. Leur CV et leurs lettres de motivations étaient de mauvaise qualité, il y avait même des fautes d’orthographe ! Je les faisais corriger par mon frère", se rappelle-t-il. Aujourd’hui, Jimmy a moins les idées noires. Grâce à sa tante employée dans une mairie, il a travaillé auprès de personnes âgées pendant huit mois, dans le cadre d’un Service civique. Depuis septembre, il suit une formation pour devenir photographe. "Je me sens davantage à ma place"¸ conclut-il.