Réouverture du Carillon : "la vie reprend le dessus"

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Les nombreuses fleurs déposées sur le trottoir ont été enlevées par la mairie de Paris. © Europe 1/Victor Dhollande
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FLUCTUAT NEC MERGITUR - Cible des terroristes le 13 novembre dernier, le bar Le Carillon va rouvrir mercredi, à Paris. Deux mois après les attaques, la vie reprend "difficilement" son cours dans le quartier. 
REPORTAGE

Le 13 novembre dernier, Patricia promenait son chien Spyke, comme tous les soirs. Une demi-heure avant que les terroristes ne s'arrêtent devant Le Carillon et Le Petit Cambodge, elle est passée entre les deux bars du Xe arrondissement de Paris. Un regard sur "la jeunesse en train de boire des coups" avant de continuer sa route. Deux mois plus tard, "la vie est en train de reprendre le dessus", s'enthousiasme-t-elle. Assise en terrasse de la pizzeria Maria Luisa, située juste de l'autre côté de la rue, cette habitante du quartier s'emballe quand on lui annonce la réouverture du Carillon

  • Au Carillon, "on n'avait plus d'endroit pour boire des coups"
Patricia-Spyke

"C'est mercredi, vraiment ?", nous demande un jeune homme, intrigué par notre présence. Après avoir obtenu confirmation des informations du Parisien, on lui répond par un simple hochement de tête. "C'est génial, j'y serai dès l'ouverture du rideau", poursuit-il. Avec sa casquette vissée sur la tête et sa grosse barbe fournie, Renaud connaît le quartier comme sa poche. Vendeur dans une boutique d'une rue adjacente, il avait souvent l'habitude d'aller "boire une pinte au Carillon après le boulot". "Depuis que tout ça s'est passé, on n'avait plus d'endroit à nous pour boire des coups. C'était bon pour notre foie, plaisante-t-il, mais beaucoup moins pour notre vie sociale".

Sur le trottoir, les milliers de fleurs ont été enlevées par des employés de la municipalité. "On ne pouvait plus passer", se souvient Louis* qui habite, lui aussi, le quartier. Quelques bouquets de roses ont tout de même résisté au temps. "C'est bien que la mairie en ait laissé un peu. Ça permet de ne jamais oublier".

Carillon-et-Petit-Cambodge

En face du Carillon, le restaurant Le Petit Cambodge a toujours son rideau fermé. A l'intérieur, des ouvriers s'affairent pour "essayer d'ouvrir le plus tôt possible". Sur ces deux terrasses, 15 personnes sont mortes, le 13 novembre dernier. Deux mois plus tard, il y a moins de fleurs mais toujours beaucoup de petits mots et de poèmes.

  • A la Bonne Bière, "on n'a plus trop envie d'en parler"

Dans sa folie meurtrière, le commando des terrasses s'est ensuite arrêté rue de la Fontaine-au-Roi. Cinq autres personnes ont perdu la vie ce soir-là entre le bar "A la Bonne Bière" (photo ci-dessous) et la pizzeria "Casa Nostra". Trois semaines après l'horreur, le premier des deux a rouvert. Et un peu plus d'un mois après sa réouverture, "la fréquentation est à peu près équivalente qu'avant les attentats", nous assure la direction. A l'heure du déjeuner mardi, la salle est quasiment pleine. "On ne va quand même pas changer nos habitudes à cause d'une poignée d'abrutis", nous confie Marthe*, une habituée des lieux.

A-la-bonne-bière

N'allez pas poser de questions aux serveurs, personne ne veut plus répondre. "Trop de sollicitations depuis les attentats", nous rétorque-t-on laconiquement en nous donnant le numéro d'une agence qui gère la communication du bar depuis deux mois. Entre deux bouchées de steak-frites, Julien*, lui, est beaucoup plus disert. lâche quelques blagues à ses collègues avec qui il déjeune. Ce commercial de 32 ans est "content d'avoir retrouvé ses bonnes vieilles habitudes dans son bar". Mais pas question de trop "remuer le couteau dans la plaie". "On n'a plus trop envie de parler de tout ça", balaie-t-il. A quelques mètres de là, la pizzeria Casa Nostra est également fermée. Là aussi, des fleurs et des mots résistent à l'oubli.

  • A La Belle Equipe, "le chemin de la reconstruction est encore bien long"

A deux kilomètres de là, on aperçoit au loin les nombreuses fleurs devant le bar La Belle Equipe. Le 13 novembre, les terroristes ont abattu 18 personnes à cette terrasse. Deux mois plus tard, le quartier est encore "groggy", nous assure Jean, un habitant qui vient mettre un peu d'ordre dans le mémorial. "Tout le monde a vraiment envie de passer à autre chose mais c'est très compliqué", poursuit-il. "Le chemin de la reconstruction sera encore bien long".  

Belle-Equipe

Le rideau se lève à moitié. Un ouvrier passe une tête et nous assure que le bar "ne rouvrira pas avant deux mois minimum". "Rien n’est réparable donc on va tout recommencer", expliquait le patron sur sa page Facebook, fin décembre. "La Belle Equipe ne gardera que son nom et bien sûr son âme. Cela prendra le temps qu’il faut".

  • Au Comptoir Voltaire, des gens ignorent (déjà) l'histoire

Un peu plus loin, sur le boulevard Voltaire, l'un des terroristes, Brahim Abdeslam, a activé sa ceinture d'explosifs à la terrasse du Comptoir Voltaire. Le 16 décembre dernier, le bar a rouvert ses portes. Comme dans les autres bars du Xe arrondissement, "les gens en ont ras-le-bol de parler de ça", nous assure une habituée des lieux.

Comptoir-Voltaire

En terrasse assisse à la table d'à côté, Marine devise avec Léa et Sarah. "Au tout début, j'ai un peu hésité à revenir m'asseoir en terrasse mais c'est rapidement passé", rembobine cette commerciale de 45 ans. Un peu interloquées, Léa et Sarah la regardent bizarrement. Elles n'étaient pas au courant qu'un des terroristes était mort dans ce bar. "C'est plutôt bon signe, ça veut dire que la vie a repris le dessus", plaisante Léa. Et Sarah de conclure : "ça peut arriver n'importe où et n'importe quand. Ça ne sert à rien de psychoter en permanence".

* Certains prénoms ont été changés pour conserver l'anonymat