Réduire la vitesse autorisée à 80 km/h sur les nationales, une mesure efficace ?

Une vitesse réduite aurait-elle pour conséquence de limiter les accidents ?
Une vitesse réduite aurait-elle pour conséquence de limiter les accidents ? © PHILIPPE HUGUEN / AFP
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T.LM.
Le Premier ministre est favorable à une baisse de 10 km/h sur les routes départementales et nationales pour l’année prochaine, afin de lutter contre la mortalité.

Si vous pouvez actuellement rouler jusqu’à 90 km/h sur les départementales et les nationales, les choses pourraient bientôt évoluer : après la publication des mauvais chiffres de la sécurité routière pour novembre, le Premier ministre Édouard Philippe s’est dit "favorable" à une baisse de 10 km/h sur ces routes qui composent plus de 95% du réseau français. Dans un mois, mi-janvier, le Comité interministériel de la sécurité routière pourrait ainsi décider de limiter à 80 km/h la vitesse maximale autorisée (VMA) sur ces tronçons. Entre défenseurs d’un maintien à 90 km/h et partisans de l’abaissement de la vitesse maximale, c’est une véritable bataille d’arguments pour défendre l’efficacité ou l'inutilité d’une telle mesure.

40% d’accidents en moins ? Afin d'appuyer cette baisse, Anne Lavaud a sorti sa calculatrice. Pour la déléguée générale de l’association "Prévention routière", "une baisse de 1% de la vitesse entraîne une baisse de 1% des accidents, de 2% des blessés et de 4% des morts sur les routes". En diminuant de 10 km/h la vitesse autorisée sur les nationales et les départementales qui n’ont pas de séparateur (un talus ou un rail de sécurité), on aboutirait donc à 40% de morts en moins. "Faux", répond Pierre Chasseray, de l’association "40 millions d’automobilistes", pour qui ces chiffres se basent sur une expérimentation suédoise dont les résultats ne s’expliqueraient que par un changement de sens de circulation dans ce pays, et donc une plus grande prudence à un moment précis. Pas d’extrapolation possible, selon lui.

" Dans certains cas où la route est impeccable, on pourrait rouler plus vite. À l’inverse, il y a des routes compliquées où la vitesse de 90 km/h peut paraître élevée "

Pierre Chasseray refuse de voir dans la vitesse "la cause fondamentale d’un accident". Et veut surtout se montrer pragmatique : "Dans certains cas où la route est impeccable, on pourrait rouler plus vite. À l’inverse, il y a des routes compliquées où la vitesse de 90 km/h peut paraître élevée", défend-il. Pour lui, il est nécessaire de mener "un audit des limitations de vitesse" afin d’éviter toute généralisation "qui ne serait pas bonne". Les diminutions ne seraient donc pas uniformes. "Mais qui définirait les tronçons concernées par ces baisses ?", s’interroge-t-il, craignant des ralentissements massifs sur les routes françaises.

Des interprétations différentes de la vitesse moyenne. De son côté, Anne Lavaud souhaite que la population prenne conscience de "l’impact collectif" d’une baisse de la vitesse autorisée. Dans les faits, la distance d’arrêt passerait en effet de 67,5 à 56 mètres sur chaussée sèche, et de 87,75 mètres à 72 mètres sur route humide, un gain de distance non-négligeable en cas d’incident.

"Aujourd’hui, la vitesse moyenne est de 82 km/h. Elle baisserait d’environ cinq kilomètres par heure si on diminuait la vitesse maximale de 10 km/h", selon ses estimations. "Personne ne meurt parce qu’il roule à 82 km/h", réplique Pierre Chasseray, pour qui ce chiffre, issu du rapport 2014 de l’Observatoire des vitesses, témoigne déjà de l’adaptation des conducteurs à leur environnement.

" On a besoin qu’on démontre les choses, que les Français voient les bénéfices de cette baisse pour l’approuver "

Dans l’opinion publique, en tout cas, les Français seraient plutôt hostiles à cette baisse : 74% des sondés étaient opposés à une diminution de la "VMA" sur les routes départementales, selon une étude BVA parue en avril 2015, alors que le gouvernement de Manuel Valls tentait de convaincre de l’utilité de rouler au maximum à 80 km/h. "Les Français ne veulent pas de cette mesure", appuie aujourd’hui Pierre Chasseray. "La pédagogie qui doit accompagner cette diminution n’est pas au rendez-vous", concède Anne Lavaud. "On a besoin qu’on démontre les choses, que les Français voient les bénéfices de cette baisse pour l’approuver."

Selon elle, au lieu d’une expérimentation sur moins de 100 km entre juillet 2015 et juillet 2017 sur trois départements, il faudrait des tests sur au moins cinq ans, avec un périmètre plus large. Et d’évoquer le passage de 60 à 50 km/h en agglomération au début des années 1990 pour convaincre que la baisse ne serait plus contestée d’ici quelques années. Pour l’instant, cependant, la vitesse est toujours limitée à 90 km/h sauf, bien sûr, en cas de précipitations. Là, on doit déjà ne pas dépasser les 80 km/h.