Qu’est-ce que le Captagon, la "drogue des djihadistes" ?

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Élise Racque , modifié à
Pour la première fois, les douanes françaises ont intercepté une cargaison de Captagon, mardi à l’aéroport de Roissy. Cette drogue réputée pour être utilisée par les jihadistes fait l’objet d’un trafic grandissant. 

Mardi, les douanes françaises ont annoncé avoir saisi 750.000 comprimés de Captagon à l’aéroport de Roissy. Une première en France, après d’autres saisies à l’étranger. Près de 11 millions de pilules avaient été interceptées en novembre 2015 à la frontière entre la Turquie et la Syrie. Considéré comme la "drogue des djihadistes", le produit voyage entre les pays du Golfe et l’Europe. Et il semble s'étendre largement au-delà des cercles terroristes. 

Un stimulant désinhibant. Synthétisé pour la première fois en 1961, le Captagon est un stimulant de la famille des amphétamines. Son nom d’origine : la fénéthylline.

La molécule d’amphétamine contenue dans le Captagon accroît la vigilance du consommateur, et renforce sa résistance à la fatigue. L’inhibition disparaît, et laisse place à un sentiment de toute-puissance.

Contacté par Europe1.fr, Jean-Pol Tassin, directeur de recherche émérite à l’Inserm sur les mécanismes d’addiction, explique : "Le Captagon intervient sur le circuit de la récompense dans le cerveau. La personne a donc l’impression que tout va bien même si ce n’est pas le cas. On n’a plus peur de ce que l’on risque. Ni de sa mort, ni de la mort des autres."

Des effets secondaires dangereux. Assez simple à produire, le Captagon fut prescrit de nombreuses années contre la narcolepsie et l’hyperactivité. Il est en effet connu pour améliorer la concentration de celui qui en consomme. En 1993, les prescriptions s’arrêtent. En cause : les risques de dépression dus à l’addiction, mais surtout de graves lésions cardiaques.

Une fois les effets dissipés s’ensuit une descente particulièrement désagréable : fatigue intense, fonctions cognitives altérées et alternance d’euphorie et de dépression.

Le produit fut également très utilisé comme produit dopant dans le cyclisme, dans les années 1960 et 1970. Depuis 1996, il est classé sur la liste des stupéfiants de l’Organisation mondiale de la Santé (OMS).

Pourquoi le Captagon est-il surnommé "la drogue des jihadistes" ? La simplicité de sa fabrication, à partir de molécules détournées de l’industrie chimique, et les effets particuliers du Captagon en font un potentiel allié pour les jihadistes islamistes, qui doivent résister à la fatigue des combats et donner la mort ou se la donner.

L’autopsie du jeune terroriste qui avait tué 39 personnes sur la plage tunisienne de Sousse en juin 2015 avait révélé qu’il  avait consommé du Captagon avant d’accomplir sa tuerie.

Dès début 2014, un responsable de l’unité libanaise de contrôle des drogues avait confié à Reuters que la production de Captagon s’était largement délocalisée du Liban vers la Syrie, sur le territoire de l’État islamique. Un officier de la brigade des stupéfiants de la ville syrienne Homs, racontait alors, toujours à Reuters, la manière dont la drogue rendait les combattants insensibles à la douleur lors des interrogatoires musclés.

En novembre 2015, les témoignages de certaines victimes du Bataclan, décrivant des terroristes comme robotisés, avaient fait penser à une consommation de Captagon. "Finalement, les enquêteurs ont montré l’absence de traces de cette drogue dans leur organisme", rappelle Jean-Pol Tassin.

Une source d’argent pour les terroristes et les dealers. Pour le spécialiste des addictions de l’Inserm, la médiatisation des effets désinhibants du produit dans le contexte des attentats a eu un effet pervers : "Il y a eu une publicité extraordinaire pour le Captagon. Beaucoup de gens qui n’en avaient jamais entendu parler ce sont dit : pourquoi pas ? Les dealers se sont mis à installer un vrai trafic."

" Ils la fabriquent pour la vendre plutôt que pour la consommer. "

Le chercheur n’est donc pas étonné de la saisie des douanes françaises. "De fait, depuis deux ans, l’augmentation de la production, et donc de la diffusion de Captagon, est très probable."

Et paradoxalement, les experts ne sont plus si sûrs que les jihadistes utilisent la drogue régulièrement pour combattre. "Les spécialistes estiment qu’ils la fabriquent effectivement, mais plutôt pour la vendre plutôt que pour la consommer", détaille Jean-Pol Tassin. "C’est surtout une source d’argent, qui permet d’acheter des armes. On pense que le Captagon est aussi utilisé comme récompense ponctuelle pour les guerriers, mais pas systématiquement avant de partir au combat."