Quand les juges indemnisent la peur de tomber malade

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Fabienne Cosnay , modifié à
DÉCRYPTAGE - 58 anciens salariés d'Alstom exposés à l'amiante au cours de leur carrière demandent réparation en justice "pour préjudice d'anxiété". Une notion de plus en plus utilisée en droit du travail.

Parce qu'ils vivent avec la peur de tomber malade dans 10, 20 ou 30 ans, de plus en plus de salariés demandent réparation en justice au nom d'un "préjudice d'anxiété". Mardi, 58 anciens employés de l'usine Alstom de Saint-Ouen, exposés à l'amiante au cours de leur carrière, ont rendez-vous aux prud'hommes avec leur ancien employeur pour préjudice d'anxiété. Chacun de ces anciens salariés réclame 15.000 euros de dommages et intérêts.

Une épée de Damoclès. "Depuis des années, nous avons des copains d'usine qui tombent malade, parfois qui meurent", confie Jean-Jacques Labaigt, secrétaire de l'Association des anciens salariés d'Alstom TSO, à l'origine de cette procédure en justice. "On vit avec une épée de Damoclès sur la tête". Ces ex-Alstom peuvent-ils obtenir gain de cause ? Comment est évalué le préjudice d'anxiété ? Eléments de réponse.

Un préjudice reconnu en 2010. La Cour de cassation a reconnu en mai 2010, ce préjudice d'anxiété pour les travailleurs de l'amiante. Ceux qui ont été exposés à cette substance dangereuse pour la santé, sans pour autant avoir à ce jour déclenché une maladie, peuvent se voir indemniser, au titre de l'inquiétude, légitime et permanente, de développer à terme une maladie. Sachant que la période de latence de certains cancers liés à l'amiante peut être très longue, jusqu'à 30 ans. "Ces salariés peuvent légitimement demander à l'employeur des dommages et intérêts en réparation de l'anxiété qu'ils ressentent",  analyse Me Jean-Paul Teisonnière, l'un des avocats historiques des victimes de l'amiante, qui a défendu ce nouveau préjudice moral devant la plus haute juridiction civile du pays.

Deux ans plus tard, en 2012, la Cour de cassation est allée encore plus loin dans la reconnaissance de ce préjudice moral, en affirmant que les salariés de l'amiante n'avaient pas à passer des examens médicaux fréquents pour prouver le préjudice d'anxiété.

… et redouté par les entreprises. En moyenne, les montants accordés aux victimes de préjudice d'anxiété varient entre 4.000 euros et 30.000 euros. Et le nombre de dossiers déposés devant les prud'hommes se comptent par milliers. Cette multiplication des contentieux représente donc aujourd'hui un enjeu financier pour les employeurs. Quelques exemples comptabilisés par les Echos : l'entreprise ZF Masson a dû payer 525.000 euros pour dédommager 35 de ses ex-salariés; Arkema plus de 1 million d'euros pour 70 employés. Quant au groupe Valeo, il a déjà été condamné plusieurs fois pour un total de près de 10 millions d'euros.

Première victoire pour d'anciens mineurs. Après les travailleurs de l'amiante, c'est au tour des mineurs de faire reconnaître ce préjudice. Le 6 février, le conseil des prud'hommes de Longwy l'a accordé à 10 anciens mineurs de fer. Jeudi, à Forbach, les conseillers prud'hommaux étudieront des demandes similaires pour 850 anciens mineurs des houillères de Lorraine. "Les mineurs ont été exposés à des risques multiples, qui comprend l'amiante mais aussi des hydrocarbures aromatiques polycycliques (HAP), du trichloréthylène", relève leur avocat.

mineurs

Un risque de banalisation ? "Il ne faut pas banaliser ce préjudice d'anxiété", prévient Jean-Paul Teissonnière. Il faut le réserver à des cas d'exposition avec des risques mortels ou potentiellement mortels, comprenant une longue période", conclut celui qui est à l'origine du concept aujourd'hui invoqué dans de nombreuses affaires.