Procès Lagarde : la charge d’un haut fonctionnaire de Bercy

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L’ancien directeur de l’Agence des participations de l’Etat a recommandé à plusieurs reprises de ne pas avoir recours au tribunal arbitral dans l'affaire Tapie. Ses notes sont restées lettres mortes. 

Les absents ont toujours tort. Et ce mercredi, Stéphane Richard, en a fait les frais. L’ancien directeur de cabinet de Christine Lagarde - et actuel PDG d’Orange – a renoncé à témoigner devant la Cour de justice de la République où l’ancienne ministre des Finances est jugée jusqu’au 20 décembre pour "négligence" dans l’affaire Tapie. Dans une longue lettre transmise à la cour, il a indiqué qu’il ne souhaitait pas prêter le serment des témoins alors qu’il est mis en examen dans un autre volet de l’affaire. Et qu’à ce titre, il a le droit de garder le silence.

C’est donc Bruno Bézard qui a été entendu en premier par la Cour de justice de la République, la seule habilitée à juger des ministres dans l’exercice de leurs fonctions. Et son témoignage est accablant. En 2007, ce haut fonctionnaire, ancien major de l’ENA, est à la tête de l’Agence des participations de l’Etat, en charge de garantir les intérêts patrimoniaux de la puissance publique. "Sans savoir qu’il y avait fraude, le principe même de l’arbitrage est contraire aux intérêts de l’Etat", assure l’énarque à la barre. A plusieurs reprises, l’agence produit donc des notes pour dissuader l’Etat d’abandonner la voie judiciaire classique pour régler ce contentieux entre Bernard Tapie et l’ancienne banque publique Crédit Lyonnais.  L'arbitrage était, selon lui, "une libéralité qui n'avait aucune justification", un choix "extrêmement dangereux" qui "présentait des risques colossaux".

"Une décision scandaleuse". Mais les notes peinent à passer le filtre du directeur de cabinet de Christine Lagarde, Stéphane Richard. Bruno Bézard n’est pas convié à plusieurs réunions décisives. "J'ai indiqué au directeur de cabinet notre position à plusieurs reprises et fait savoir que j'étais disponible pour être reçu", explique-t-il. En vain. L’année suivante, la sentence tombe : les trois juges du tribunal arbitral accordent la somme astronomique de 403 millions d’euros à Bernard Tapie. Là encore, l’Agence des participations de l’Etat recommande de faire appel contre cette "décision scandaleuse". "Même s’il n’y avait qu’une chance sur mille pour que ça marche, il fallait faire un recours." Une nouvelle fois, la ministre ne suit pas ses recommandations et décide de ne pas faire appel. "Je suis plus choqué par la rapidité de la décision de non-recours que par la décision d’aller à l’arbitrage."

Mais l'ex-haut fonctionnaire n'en a pas seulement après l'actuelle patronne du Fonds monétaire international. Il assure qu'elle n'était même pas au courant des dernières manipulations de la procédure d'arbitrage, qui ont permis à Bernard Tapie de toucher un pharaonique "préjudice moral" : 45 millions d'euros. A entendre Bruno Bézard, si l'arbitrage, aujourd'hui soupçonné d'être un colossal détournement de fonds, a été décidé, c'est parce qu'une "bonne partie de l'appareil d'Etat allait dans ce sens". Il précise: "les membres du gouvernement, Matignon, la présidence de la République" et leurs proches conseillers. Soit Nicolas Sarkozy et son Premier ministre François Fillon.