Au procès de l'affaire Fiona, quinze jours à guetter la vérité

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Après 15 jours de procès, les circonstances de la mort de Fiona demeurent floues. © Benoit PEYRUCQ / AFP
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Caroline Politi , modifié à
Après quinze jours de procès les circonstances de la mort de l’enfant ainsi que le lieu de sa sépulture de fortune demeurent inconnus. 

Tout à coup, le vernis craque. Lorsqu’on ne s’y attendait plus. Lorsque l’espoir que sortent quelques révélations de ce procès sous haute tension s’était éteint. C’était mercredi soir, vers 21h30 environ. Une partie du public et des journalistes étaient partis manger, le président de la cour d’assises du Puy-de-Dôme s’apprêtait à clore les débats lorsque dans un murmure, Cécile Bourgeon prend la parole. "Oui, j’ai menti." D’une voix chevrotante, elle reconnaît que son compagnon, Berkane Makhlouf, qui comparaît à ses côtés pour "violences ayant entraîné la mort sans intention de la donner", n’a pas frappé Fiona, sa fille. "C’était une invention ?", insiste le président Dominique Brault. "Oui, il n’arrêtait pas de m’accabler alors j’ai voulu l’accabler un peu plus."

Un frémissement. La vérité serait-elle sur le point de jaillir, près de dix jours après l’ouverture du procès ? Cécile Bourgeon va-t-elle enfin dire comment est morte la fillette de cinq ans dont le corps n’a jamais été retrouvé ? Va-t-elle révéler où elle est enterrée ? Jusqu’à présent, la cour tournait autour de l’affaire sans jamais parvenir à y entrer. Même le père biologique de Fiona, qui a aujourd’hui la garde de sa petite sœur, confiait à la barre avoir perdu tout espoir de voir la vérité éclore.

Accusations mutuelles. Le couple s’est toujours accordé sur le fait que Fiona est décédée dans la nuit, étouffée dans son vomi, mais n’a eu de cesse de s’accuser mutuellement d’avoir porté les coups à l’origine de son malaise. Berkane Makhlouf, qui  se décrit comme "parano et impulsif", reconnaît qu’il se battait régulièrement avec sa compagne mais ne touchait pas aux enfants. "C’est sacré", répète-t-il, inlassablement à chaque fois que le président lui donne la parole. Cécile Bourgeon assure, de son côté, être sous l’emprise de ce compagnon "toxique", s’excuse quasiment quotidiennement d’être une "mère indigne" qui n’a pas su "protéger ses enfants". Parallèlement, ils semblent unis par un pacte de non-agression : ils s’accusent tout en se protégeant. "C’était une bonne mère", lance Berkane Makhlouf à l’intention de Cécile Bourgeon. Et cette dernière insiste. "C’était un accident", "Berkane n’a jamais voulu lui faire du mal". Surtout, ils continuent d’affirmer ne plus se souvenir de l’endroit où ils ont enterré Fiona. Sur ce point, ils ne varieront jamais.  

Mais au fil des audiences, tous deux s’accordent tacitement sur une autre version des faits : la fillette aurait avalé la drogue qu’ils laissaient traîner dans l’appartement. Leur toxicomanie est notoire, ils ne s’en cachent pas. C’est d’ailleurs lors d’un "deal" qu’ils se sont rencontrés. En l’absence de corps, pas d’autopsie, l’hypothèse d’un "accident domestique" semblait crédible. Jusqu’à ce qu’un expert en toxicologie la batte en brèche. L’héroïne et le subutex ont un goût très amer, explique Yvan Gaillard. Difficile d’imaginer, donc, que la fillette en ait avalé une quantité suffisante pour engager son pronostic vital. De sa carrière, il n’a jamais eu à examiner un cas comme cela. D’ailleurs, il a des doutes sur leur version de l’enterrement. Compte-tenu de toutes les drogues qu’ils disent avoir ingérées ce jour-là, il lui paraît "peu probable" qu’ils aient pu rouler 60 kilomètres sans avoir d’accident.

On a un temps cru que la vérité viendrait de l’extérieur. Au deuxième jour du procès, l’avocate d’une partie civile explique avoir reçu un message d’une "promeneuse" affirmant savoir où était la tombe de la fillette. Branle-bas de combat. Le président demande à ce qu’on aille chercher dare-dare ce témoin surprise. La désillusion est à la hauteur des attentes. La dame se présente comme "médium radiesthésiste" et explique que Fiona lui a parlé. Puis tombe dans les pommes à la barre. Une journée d’audience perdue, retour au point de départ.

" Je ne suis pas un bourreau d’enfants "

Jusqu’à ce fameux soir. Mais alors que la parole se libérait enfin, que Cécile Bourgeon semblait vouloir parler, le président suspend l’audience, dans la confusion générale. Il est plus de 23 heures, "tout le monde est épuisé", explique-t-il. Les débats reprendront à 9 heures le lendemain. Sauf que cette fois-ci, l’accusée est beaucoup moins encline à la confidence. La nuit porte conseil, les avocats aussi. "Monsieur le président, je décide de garder le silence jusqu’à la fin de ce procès. A chaque fois que je parle, mes propos sont déformés", lance-t-elle avant de se rasseoir lourdement. Ce vœu de silence a un effet inattendu. Berkane Makhlouf sort de son apathie. Lui veut parler. Raconter les moments passés avec Fiona. Lorsqu’ils allaient "donner à manger aux canards" ou qu’ils "jouaient au ballon dans le couloir". Il confie sa panique en découvrant l’enfant inanimé. "J’accepte la prison parce qu’on a menti. Parce qu’on a fait l’enterrement nous-même. Mais pas parce que j’ai porté des coups, je ne suis pas un bourreau d’enfants", assène-t-il.

Au dernier jour du procès, on a le sentiment qu’il commence enfin. Finalement, Cécile Bourgeon  sort du silence et pour quelqu’un qui ne voulait plus parler, les mots se bousculent dans sa bouche. Elle raconte ses trois grossesses, la joie de Fiona en apprenant qu’elle allait avoir une petite sœur, son intelligence. "C’était ma fierté, j’avais réussi à l’élever." Le discours semble sincère, mais l’est-il ? Elle a montré à de nombreuses reprises qu’elle était maline. Est-ce un stratagème pour amadouer le jury ? Impossible à dire.

30 ans requis. Reste que malgré ces confidences, le procès s’est refermé sans que ni Cécile Bourgeon ni Berkane Makhlouf ne fassent les révélations attendues. Les circonstances de la mort de Fiona sont toujours opaques. Et sa tombe de fortune toujours introuvable. "C’est triste mais je ne sais vraiment plus où elle est. Je me dis que si je n’avais pas menti pendant quatre mois [ils ont dans un premier temps fait croire qu’elle avait été enlevée, ndlr], je l’aurais retrouvée. Si je sors, j’irais la chercher…", lâche-t-elle à la fin de son long monologue.

L’avocat général a requis 30 ans de réclusion criminelle à leur encontre, le maximum, assorti d’une période de sûreté aux deux tiers. "Il n'est pas nécessaire que je puisse identifier qui a fait quoi, peu importe si l'un a mis trois coups et l'un un seul coup, les deux ne font plus qu'un", a déclaré Raphaël Sanesi de Gentile lors de son réquisitoire. Le verdict est attendu dans la soirée, voire dans la nuit.