Procès de la voiture incendiée à Paris : "l'individu numéro 3" au cœur des discussions

Les images de l'incendie avaient fait le tour du monde, au printemps 2016 (photo d'archives).
Les images de l'incendie avaient fait le tour du monde, au printemps 2016 (photo d'archives). © AFP
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Antonin Bernanos, militant "antifa" accusé par un "cumul de détails" dans ce dossier extrêmement sensible, a martelé son innocence devant le tribunal correctionnel de Paris, jeudi.

Il est de ceux qui risquent le plus gros. Preuve en est : tandis que l'audition de quatre de ses co-prévenus avait été bouclée en une demi-journée la veille, Antonin Bernanos est déjà questionné depuis plus de cinq heures, jeudi. Les deux poings fermement posés sur la barre, l'homme de 23 ans, visage dur et cheveux noirs, semble conscient de l'épée de Damoclès qui pèse au-dessus de sa tête. Soupçonné de violences volontaires avec arme sur personne dépositaire de l'autorité publique, destruction par incendie d'un véhicule de police et participation à un groupement armé en marge de la mobilisation contre la loi Travail, au printemps 2016, il encourt jusqu'à dix ans de prison.

"Un militant antifa sans étiquette". Concentré, Antonin Bernanos se décrit comme "un militant antifa sans étiquette, sans appartenance à aucun groupe en particulier". Ses réponses au président dessinent un profil engagé, tantôt pour la cause des migrants, tantôt pour celle des plus démunis. Arrière petit-fils de l'écrivain Georges Bernanos, fils d'un documentariste spécialisé dans problématiques sociales, il s'exprime dans un langage précis et soutenu. En mars, plusieurs professeurs de sa licence de sociologie à l'université de Nanterre se sont mobilisés pour lui, lors d'une journée de "soutien aux inculpés du mouvement social".

Des mouvements sociaux, Antonin Bernanos en est systématiquement. "J'ai été poursuivi plus de douze fois, et condamné une fois", assène-t-il calmement, comme s'il avait deux fois son âge. Dans les cortèges, il est des "meneurs", devant les syndicats. "C'est aussi là que se trouvent les casseurs", note le procureur. Lors d'une perquisition à son domicile, la police a trouvé une douzaine de casques sur trois étagères, un masque à gaz, et un pot de fumée. Du tac au tac, le prévenu répond que lui et son frère conduisent des scooters, qu'il lui arrive de faire de la peinture et que les fumigènes sont obligatoires sur les bateaux de pêche, l'un de ses passe-temps.

"L'individu numéro 3". Le président déroule les faits. Le 18 juin 2016, Antonin Bernanos et quelques centaines d'autres militants antifascistes ont tenté de rejoindre la place de la République, à Paris, où se déroulait un rassemblement de policiers contre la haine "anti-flics". Repoussés par les CRS, ils ont organisé une "contre-manifestation" dans les rues adjacentes. Le jeune homme hoche la tête. C'est tout ce dont il se souvient. "Je suis parti tôt, j'ai passé l'après-midi dans un magasin, je suis rentré chez moi, j'ai pris une douche et j'ai été arrêté dans l'heure qui a suivi", résume-t-il.

Car pour les enquêteurs, qui ont analysé des dizaines de vidéos de cette journée, Antonin Bernanos est avant tout l'individu "numéro 3", dans le dossier de l'incendie du Quai de Valmy. Quelques minutes après le moment où il affirme avoir quitté la manifestation, une voiture de police y a été prise pour cible, caillassée et incendiée, laissant tout juste le temps à ses occupants d'en descendre. L'étudiant en sociologie est soupçonné d'avoir frappé le conducteur du véhicule à travers sa vitre, puis d'avoir détruit la lunette arrière, ouvrant la voie au jet de fumigène qui embraserait l'ensemble.

"Un cumul de détails". Le président fait projeter les photos qui doivent permettre de suivre le parcours du prévenu dans la manifestation et demande systématiquement que l'on grossisse l'image, sans sembler être satisfait du résultat. Les images, floues et captées de loin, font plisser des yeux toute l'assistance. Dans la seizième chambre du tribunal correctionnel, pleine à craquer, se côtoient militants antifascistes et représentants du syndicat de police Alliance, dans une ambiance électrique.

"On est sur un cumul de détails qui fera peut-être une preuve pour le tribunal", résume, le procureur sans ciller. Il y a les vêtements que portait ce jour-là Antonin - des baskets noires, un jean bleu, un sweat-shirt foncé et une parka - qui rappellent les images de "l'individu numéro 3" des vidéos, dont le visage est masqué. Des "boursouflures" au niveau des poches, correspondant à son "grand téléphone" et son portefeuille, qu'il a l'habitude d'y ranger. Son regard "cerné", visible sur une vidéo de début de cortège, et comparable à celui de l'individu cagoulé. Individu dont le caleçon, rose, dépasse sur une des vidéos. Or, souligne le président, photo à l'appui, Antonin Bernanos possède un boxer violet. Le public retient péniblement ses rires.

"J'ai fait le travail des enquêteurs". Arié Alimi, avocat du prévenu, entre alors en scène à grand renfort de panneaux cartonnés. "J'ai pris un profil au hasard dans la manifestation, et j'ai fait le travail des enquêteurs", explique-t-il. Sur ses photos, spécialement agrandies, d'autres jeunes hommes vêtus de noir et aux poches pleines, "un look assez commun dans ce genre de rassemblement", remplissent les critères préalablement énoncés. Visiblement mal à l'aise à l'idée de faire accuser d'autres militants, Antonin Bernanos est forcé de souffler : "Je vois où voulez en venir. Tout ce que ça montre, c'est que la méthodologie policière est biaisée."

Pour enfoncer le clou, l'avocat rappelle que le seul témoin qui assure avoir vu Antonin Bernanos est un policier du renseignement, service qui multiplie les notes le visant depuis plusieurs années. "Jusque-là, ça ne me dérangeait qu'un peu", affirme le prévenu. "Quand j'ai passé dix mois en prison dans cette affaire, ça a commencé à devenir plus embêtant." Il manie le même genre d'euphémisme lorsqu'on lui demande son avis sur l'incendie du Quai de Valmy, sous l'oeil attentif de Kévin P., conducteur du véhicule et partie civile : "Tout le monde peut dire que les conséquences sont problématiques, mais je ne tiens pas à porter de jugement moral."