Les stagiaires s'inspirent des modes d'action d'autres activistes, comme ceux de l'ancienne ZAD de Notre-Dame-des-Landes. Photo d'illustration. 4:40
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Laure Dautriche, édité par Thibaud Le Meneec , modifié à
De plus en plus d'activistes s'inscrivent à des stages de désobéissance civile pour élargir leurs modes d'action en vue de défendre des causes sociales ou environnementales.
ENQUÊTE

Trois mois après les premières mobilisations des "gilets jaunes", les modes d'actions des mouvements sociaux auraient-ils changé en France ? De plus en plus de citoyens veulent en tout cas agir directement, plus frontalement, mais de façon non-violente, face à l'urgence climatique principalement. Trois fois plus de militants sont formés chaque mois depuis trois mois.

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Pour les stagiaires rencontrés par Europe 1, les formes d'action traditionnelles ne fonctionnent plus et les pétitions ou les manifestations, comme par exemple les marches pour le climat, ont un impact faible en France. Avant, les stages avaient lieu une fois par mois, et aujourd'hui, il y en a tous les week-end, à Paris et en région. Cela coûte 30 euros par personne pour la journée.

Altermondialistes et mères de famille. Plusieurs associations le proposent, comme Alternatiba ou le mouvement "Extinction rébellion". Les formateurs sont des habitués de ce type d'actions. Dans le public, on trouve des altermondialistes, des écologistes, des "gilets jaunes", mais aussi des mères de famille et des personnes de 60 ou 70 ans.

Le week-end dernier, Europe 1 a assisté à un stage en région parisienne, avec une cinquantaine de personnes. Il affichait complet. Tout commence par un exercice pratique : tenter de faucher un champ d'OGM sans violence, sans outils, qui sont considérés comme des armes. Le tout en devant faire face à un cordon de gendarmes.

"Stratégies visibles et pacifiques". Ensuite, pour ralentir l'évacuation, les membres du groupe mettent en pratique les gestes qu'ils viennent d'apprendre, la technique de la tortue ou du petit train, qui consiste à s'asseoir par terre à plusieurs en s'emmêlant les bras et les jambes. "Quand on essaye d'organiser une action et qu'on connait pas trop le terrain, on élabore des stratégies visibles et pacifiques. Ça s'apprend et ça se pratique", défend une stagiaire, alors que le groupe scandent le slogan "Violences policières !" face aux forces de l'ordre.

Entendu sur europe1 :
Nasser des policiers, c'est vraiment la chose à ne pas faire. Là, ils vont vraiment paniquer et ça va se transformer en violences

Après l'exercice, Rémi Filliau, organisateur et membre du collectif des Désobéissants, pointe du doigt quelques erreurs : "Nasser des policiers, c'est vraiment la chose à ne pas faire. Là, ils vont vraiment paniquer et ça va se transformer en violences. Il faut choisir les slogans. 'La police doucement, on fait ça pour vos enfants' leur donnera davantage envie de vous rejoindre car eux aussi ont des enfants. Et s'ils ne nous laissent pas passer, on essaye de se laisser tomber dans leur bras, délicatement, sans violences. Il faut absolument éviter de courir dans leur direction."

Gandhi et José Bové en modèle. Les désobéissants ont plusieurs modèles et références : Gandhi, le pacifiste indien, et plus près de nous, José Bové, le héraut de la lutte contre les OGM. Plus récemment, ils ont obtenu quelques victoires : l'abandon de l'aéroport Notre-Dame-des-Landes, par exemple, grâce à la résistance de la ZAD, la Zone à défendre.

Au fil de la journée, le groupe apprend qu'il vaut mieux mener des actions à visage découvert plutôt qu'encagoulé pour risquer moins de poursuites devant la justice, ou qu'il est important de prévenir la presse en amont pour donner de l'ampleur à l'événement.

Très peu condamnés dans les faits. Dans les faits, très peu de militants sont condamnés et mêmes poursuivis pour ces actions illégales. "Ce sont des gens plutôt diplômés, de la classe moyenne, blancs. C'est quand même un milieu social qui n'est pas celui qui est le plus directement victime des pratiques policières et de la justice", explique Manuel Cervera-Marzal, qui a réalisé sa thèse de doctorat sur la désobéissance civile. "Pour les mêmes délits, vous êtes plus condamnés si vous êtes pauvres, noirs ou arabes que si vous êtes blancs. Cet élément-là permet d'expliquer pourquoi si peu de désobéissants civils sont condamnés devant un tribunal." 

Les sujets défendus sont souvent des grandes causes, dit ce spécialiste, pour l'intérêt général, sur la santé, le climat… Même si l'action est illégale, elle est légitime, explique le chercheur. Et cela compte pour la justice.