Policiers : pourquoi la contestation est montée d'un cran

Malgré les menaces de sanction, des centaines de policiers ont à nouveau manifesté dans la nuit de mardi à mercredi
Malgré les menaces de sanction, des centaines de policiers ont à nouveau manifesté dans la nuit de mardi à mercredi © AFP
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Margaux Lannuzel avec Nathalie Chevance et Guillaume Biet , modifié à
Depuis deux jours, des centaines de gardiens de la paix organisent des rassemblements spontanés pour exprimer leur "ras-le-bol", partout en France.

Et si une manifestation inédite devenait un mouvement durable ? Après le défilé-surprise de centaines de policiers sur les Champs-Elysées, dans la nuit de lundi à mardi, les mobilisations "spontanées" de gardiens de la paix, organisées sans les syndicats et malgré les menaces de sanctions de leur hiérarchie, se sont poursuivies mardi soir et mercredi, dans la journée.  En cause, un malaise aux racines profondes, exacerbé par plusieurs événements récents et un climat de défiance.  

"Un bon flic est un flic mort". "Depuis dix ans, j'entends un peu toujours les mêmes récriminations, les mêmes plaintes. Mais on a, en plus, en ce moment, une conjonction d'éléments qui fait qu'il faut que ce ras-le-bol s'exprime", analyse sur Europe 1 Mathieu Zagrodski, spécialiste des questions policières.

Lundi, les premiers SMS appelant les policiers à braver leur interdiction de manifester ont été échangés dans l'Essonne,où quatre policiers ont été blessés à Vitry-Châtillon, début octobre. Ces derniers jours, les forces de l'ordre ont également fait face à un guet-apens à Mantes-la-Jolie, dans les Yvelines, et essuyé des jets de cocktails Molotov lors d'une manifestation tendue, à Bastia. Plusieurs tags antipolice ont aussi échauffé les esprits. "Un bon flic est un flic mort", indiquait notamment un message découvert mardi, sur le campus de l'université Paris VI.

Des syndicats éloignés du "terrain". Ces violences à l'égard des gardiens de la paix constituent le cœur du discours des manifestants, qui réclament des réponses pénales plus fermes. "Nos familles ont peur pour nous. Avant de venir, mon épouse m'a dit 'surtout, fais bien attention, prends soin de toi'", témoigne sur Europe 1 un policier croisé dans un cortège. Autre sujet de crispation : le sentiment d'absence de soutien des Français face à ces agressions. "Il faut que la population comprenne qu'on est là pour les protéger", lâche Patrick, brigadier manifestant à Marseille.

"Ils n’ont plus peur de rien, voilà pourquoi nous on n’est plus à l’abri de rien", témoigne cet autre policier, à Toulouse :

Entendu sur europe1 :
Les syndicats sont dans des guerres d'influence

La "haine antiflics" a déjà été dénoncée par les gardiens de la paix, notamment lors d'une manifestation organisée à Paris au mois de mai, dans le contexte des affrontements liés à la mobilisation contre la loi Travail. Mais depuis deux jours et de manière inédite, cette colère s'exprime sans intervention des syndicats, grâce à des appels à la mobilisation échangés sur les réseaux sociaux ou via des téléphones portables. "Plusieurs policiers disent que les syndicats sont dans des guerres d'influence entre eux et oublient un peu le terrain", explique Mathieu Zagrodski. "Il y a une perte de confiance".

Le mouvement, mené par la base, s'oppose également à la hiérarchie policière, qualifiée de "carriériste" dans le premier message d'appel à la manifestation, diffusé lundi. La réaction de Jean-Marc Falcone, directeur général de la police nationale (DGPN), qui a dénoncé un comportement "inacceptable" et annoncé l'ouverture d'une enquête interne après cette première manifestation, a mis le feu aux poudres. "On sait qu'il y a eu des menaces de sanctions, des menaces de révocation, de blâmes", affirme un manifestant toulousain, interrogé par Europe 1. "Ils jouent sur le code de déontologie qui nous interdit de nous exprimer. C'est pour nous faire peur, mais ça ne me fera pas reculer pour autant", poursuit-il.

"Le débat n'est pas sur les effectifs". Faut-il voir dans l'appel lancé mardi par Unité-Police SGP-FO à une "marche de la colère" mercredi 26 octobre, une tentative de reprendre la main sur le mouvement ? Les organisations syndicales semblent en tout cas se rapprocher des revendications principales des manifestants. "Le débat n'est pas sur les effectifs, ni sur les moyens", affirme sur Europe 1 Stanislas Gaudon, secrétaire général du syndicat Alliance. "Les policiers ont le sentiment d'impunité, les peines ferme ne sont pas prononcées", poursuit-il. "Il faudrait que la justice s'exprime, et qu'elle s'exprime de manière correcte, dans l'attente des gardiens de la paix". 

Une revendication entendue par le gouvernement : après une rencontre Bernard Cazeneuve, mercredi après-midi, les syndicats de policiers seront reçus par le ministre de la Justice, Jean-Jacques Urvoas, en fin de journée. Ces entretiens suffiront-ils à calmer la fronde ? "Le dialogue social n'a jamais été rompu", assure Stanislas Gaudon. Reste désormais à savoir si les syndicats peuvent contenir la base, dont une partie semble déterminée à s'exprimer : après avoir discuté avec des fonctionnaires à Evry dans un climat apaisé, le directeur général de la police nationale, Jean-Marc Falcone, a été hué par plusieurs centaines de leurs collègues en sortant du commissariat, mardi soir.