"Nuit debout" : l'évacuation va-t-elle freiner le mouvement ?

Nuit debout
© PHILIPPE LOPEZ / AFP
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Les noctambules de la place de la République, à Paris, ont été délogés lundi à l'aube. Et maintenant ?

Ils ont été réveillés par des CRS, lundi vers 5h30. La place de la République, occupée depuis le 31 mars par les partisans du mouvement "Nuit debout", a été évacuée et nettoyée de fond en comble. Des banderoles et des militants, il ne restait plus rien sur l'emblématique place parisienne. Mais la place devrait de nouveau être occupée dès lundi soir. Jusqu'à quand ? Difficile à dire…

Le mouvement reprendra lundi soir. Pour être autorisé à manifester sur la place publique, il suffit d'en faire une demande à la préfecture de police. Sauf conditions exceptionnelles (risque majeur d'attentat, organisation d'évènement d'ampleur, type G20 ou COP21), une demande déclarative suffit pour avoir le droit de manifester. La dernière demande des organisateurs du mouvement portait jusqu'à dimanche soir, d'où l'intervention des forces de l'ordre lundi à l'aube. Mais une nouvelle demande a été déposée pour lundi soir, a-t-on appris de source policière. Les partisans de "Nuit debout" pourront donc de nouveau se retrouver place de la République. Et ils devraient décider dans la soirée s'ils prolongent le mouvement, et si oui comment. La place avait déjà été évacuée mardi dernier, et cela n'avait pas découragé les partisans.

L'évacuation de lundi matin "visait prioritairement à enlever les structures fixes, conformément aux déclarations de manifestation déposées qui prévoyaient un démontage dimanche en fin de soirée", a précisé à l'AFP la préfecture de police de Paris. Lundi, une poignée de sympathisants se sont d'ailleurs employés à sauver ce qui peut l'être: quelques palettes, des bâches, des chaises, des fleurs du "jardin citoyen"... "Ça fait du mal de voir ça. Mais on va reconstruire, le mouvement ne peut pas se terminer comme ça", lâchait Leo Joudi lundi matin.

Les violences risquent de tout changer. Ce qui pourrait entraîner la marginalisation du mouvement, en revanche, serait son éventuelle radicalisation. Des incidents ont émaillé la "Nuit debout" dans la nuit de samedi et dimanche, lorsque quelques centaines de personnes ont voulu se rendre au domicile du Premier ministre Manuel Valls. Huit personnes ont été interpellées et des dégradations ont été déplorées par les autorités, comme l'incendie d'une voiture Autolib' par exemple. "Nous ne sommes pas tout à fait dans une nouvelle séquence, mais nous n'en sommes pas loin non plus", analyse pour Europe 1 Eddy Fougier, spécialiste à l'Iris de l'altermondialisme et des mouvements protestataires. "Le risque pour "Nuit debout", avec une radicalisation, serait que les plus modérés du mouvement s'en aillent. Et que les autorités durcissent le ton", poursuit le chercheur.

Une radicalisation croissante pourrait aussi pousser le préfet de police ou le ministre de l'Intérieur à tout simplement interdire le rassemblement. En temps normal, les autorités peuvent en effet interdire toute manifestation si elles estiment que le mouvement peut troubler l'ordre public. Et en cas d'état d'urgence, cette démarche est facilitée : s'il y a le moindre soupçon de danger et de radicalisation, le mouvement peut être interdit. Les forces de l'ordre sont alors autorisées à intervenir et à évacuer la place. 

Entendu sur europe1 :
"L'exécutif redoute un Notre-Dame-des-Landes en plein Paris intramuros"

La classe politique de plus en plus hostile. De nombreux responsables politiques, notamment à droite, appellent d'ailleurs le gouvernement à interdire la manifestation. Colombe Brossel, adjointe chargée de la Sécurité à la mairie de Paris, avait déclaré au Figaro l'intention de porter plainte après les dégradations. Une information démentie un peu plus tard par la maire Anne Hidalgo, mais qui en dit long sur les crispations naissantes autour du mouvement.

Toutefois, si une interdiction entraînerait une marginalisation, elle ne déboucherait pas nécessairement sur l'arrêt total du mouvement. Elle pourrait, au contraire, accroitre les tensions. "Il est difficile de sonder les esprits et les cœurs, mais je n'ai pas l'impression que cela arrêterait les plus radicaux. Cela pourrait les galvaniser", estime Eddy Fougier. "En marge de la COP 21, par exemple, malgré l'interdiction, il y avait eu une manifestation, et cela avait débouché  sur des altercations avec les forces de l'ordre. A Notre-Dame-des-Landes ou à Sivens, les manifestants n'hésitent pas à occuper les lieux de manière illégale. Ce que redoute le gouvernement, c'est un Notre-Dame-des-Landes en plein Paris intramuros".

Que vont changer les annonces de lundi ? Pour calmer les ardeurs de la "jeunesse", Manuel Valls a annoncé lundi toute une série de mesures. Prolongation des bourses étudiantes, taxation des CDD, hausse des quotas dans les IUT, elles ont globalement été saluées par les organisations étudiantes et lycéennes. Mais pas sûr que cela ne suffise à coucher les noctambules. "Lorsqu'on les écoute sur place, on n'a pas l'impression que c'est ce qu'ils attendent. La loi Travail, point de départ du mouvement, est dépassée depuis longtemps", avance Eddy Fougier. Et de conclure : "ces annonces seront intéressantes pour un certain nombre de Français. Mais nulles et non avenues pour "Nuit debout". Le problème n'est pas le contenu, c'est le contenant. Tout ce qui viendra de Manuel Valls risque d'être jugé non crédible".