Lycées, collèges : malaise chez les proviseurs

Proviseurs SNPDEN
La dernière mobilisation des proviseurs remontait à 2006... © FRANCOIS GUILLOT / AFP
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Pour la première fois en dix ans, les chefs d'établissement du secondaire sont descendus dans la rue. Pourquoi ? 

Réforme du collège, plan Vigipirate, hausse des effectifs d'élèves… Dans le secondaire, la rentrée est mouvementée. Et les chefs d'établissement sont en première ligne pour la gérer. Aujourd'hui, face à la multiplication des tâches et, surtout, des directives de l'Education nationale, ils expriment leur "ras-le-bol" dans la rue. Mercredi, environ un quart des 12.000 proviseurs du secondaire, selon le SNPDEN, le principal syndicat du secteur, a manifesté devant différents rectorats de France. Mardi, IDFO (Indépendance et direction Force ouvrière) avait déjà annoncé qu'une action aurait lieu tous les vendredis pour dénoncer les conditions de travail des chefs d'établissement. C'est la première fois depuis 2006 que le secteur, d'habitude prompt à rentrer dans le rang, se mobilise.

" Un management infantile "

"Il y a un effet de ras-le-bol. La goutte d'eau fut la mise en œuvre de la réforme des collèges. Non pas la réforme en elle-même, mais sa mise en œuvre", martèle Florence Delannoy, membre du SNPDEN et proviseure dans un lycée à Genech, dans le Nord. "La réforme est censée nous laisser une marge d'autonomie de trois heures par semaine pour mettre en place des enseignements pluridisciplinaires ou de l'accompagnement. Mais on est abreuvé de circulaires pour nous dire 'pendant ces trois heures, il est interdit de faire ci, de faire ça…", déplore-t-elle, parlant d'un "management infantile".

Si elle fut "la goutte d'eau", la mise en œuvre de la réforme n'est pas la seule source du malaise. "Coincés" entre les enseignants ou le personnel de leur établissement, qu'ils doivent diriger et encadrer, et les différentes strates hiérarchiques de l'Education nationale (rectorats, académies, Direction générale de l'enseignement scolaire, ministère), les proviseurs crient leur "exaspération" contre "une politique du XIXe siècle, centralisée et bureaucratique". Alors qu'on leur promet l'autonomie depuis les années 60, ils ont aujourd'hui l'impression de régresser.

"Tout est toujours organisé au dernier moment, et il faut tout faire tout de suite", dénonce Florence Delannoy. "Les élections des représentants de lycéens au conseil d'administration, par exemple. Cela doit être bouclé mi-octobre. Ça fait des semaines que l'on informe les lycéens, que l'on prépare les élections. Et ils viennent de changer les règles du jeu il y a deux jours ! Autre exemple: l'an dernier, quelques jours avant la fin de la fixation des agendas, ils nous ont demandés de prévoir deux heures de cantine pour le midi. On n'est pas contre, mais pourquoi nous prévenir au dernier moment ! C'est tout le temps comme ça…", renchérit la proviseure.

" Un véritable harcèlement textuel "

Ce qui exaspère le plus les chefs d'établissement, ce n'est pas tant d'avoir des directives au dernier moment. C'est d'en avoir tout le temps. "On avait l'impression d'avoir acquis une notion de confiance. Mais depuis quelques années, on nous infantilise. On nous précise tout à outrance, on nous donne des tonnes de détails. Nous sommes abreuvés de circulaires, qu'il faut lire, distribuer et/ou numériser… C'est un véritable harcèlement textuel", insiste Philippe Vincent, secrétaire général adjoint du SNPDEN et proviseur dans un grand établissement marseillais.

"Parfois, les circulaires se contredisent, parfois elles se répètent, les différents services ne se coordonnent pas. Pour l'élection des représentants de parents d'élève par exemple. Dans la loi, cela prend deux articles. Mais on reçoit une circulaire de plusieurs pages du rectorat, une autre de l'inspection académique… On doit les traiter, les lire, les expliquer et cela prend énormément de temps dans notre travail alors que nous n'avons pas besoin de ça. A priori, si l'on a réussi les concours du personnel de direction, c'est que l'on est capable de diriger un établissement. Cela pèse au quotidien sur nos métiers. C'est une contrainte qui nous pèse pour remplir nos autres tâches", déplore encore Philippe Vincent.

" Une force de rappel de la bureaucratie "

"Les chefs d'établissement sont coincés entre deux injonctions paradoxales", décrypte pour Europe 1 Romuald Normand, sociologue spécialiste du management dans l'éducation. "D'un côté, on leur accorde plus d'autonomie, on leur demande d'être pilote dans leur établissement pour des missions éducatives et pédagogiques. Et d'un autre, on leur demande de se comporter en fonctionnaires, d'appliquer un certain nombre de normes et de faire remonter de plus en plus d'informations. Il y a une sorte de force de rappel de  la bureaucratie. Les chefs d'établissement sont pris en tension, alors que leur mission devrait être de se tourner vers les équipes pédagogiques, les familles ou les collectivités territoriales", poursuit cet enseignant-chercheur à l'Université de Strasbourg, qui enchaîne : "l'Education nationale devrait reconnaître que les proviseurs ont besoin d'un minimum de possibilités de s'adapter aux réalités locales de leurs établissements".

Cette "force de la bureaucratie", c'est peut-être via l'informatique qu'elle s'exprime le plus. Selon le SNPDEN, 10% des proviseurs estiment que la maintenance des ordinateurs prend un tiers de leur temps. Car pour un proviseur, l'essentiel de la journée se passe devant un ordinateur. Gestion du conseil d’administration, des heures supplémentaires, des procédures d’orientation etc. Tout est désormais numérisé… car tout doit être centralisé par l'Education nationale. "Il faut sans cesse abreuver la technostructure. Mardi, par exemple, le ministère nous a demandés de recenser les effectifs des élèves. Nous sommes donc obligés de taper tous les chiffres dans un tableau Excel à part… alors que ces chiffres existent déjà pour chaque établissement, hébergés sur un serveur au rectorat. Cela ne me semble pas compliqué de les récupérer! Seulement, il faut obtenir des autorisations, lancer des procédures. Et nous n'avons pas la main sur ça", tacle Philippe Vincent, du SNPDEN. Le syndicat en a d'ailleurs fait un slogan pour sa mobilisation de mercredi : "Assez 2.0 !".

Pour le sociologue Romuald Normand, c'est le signe que l'Education nationale met plus de temps à évoluer que les autres administrations.  "Depuis les années 60, les administrations publiques ont commencé à se rendre compte de l'impasse du modèle bureaucratique", analyse-t-il, avant de conclure : "mais l'Education nationale n'en est qu'au début de la phase de transition. Il y en a encore pour une trentaine d'années".