Le Stilnox, médicament ou stupéfiant ?

© Jean-Pierre Muller/AFP
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Le ministère de la Santé va encadrer plus strictement la vente du Stilnox, un somnifère considéré comme stupéfiant, et relance ainsi la question de l’usage détourné des médicaments en France.

Il est censé permettre d'éviter les nuits blanches. Le Stilnox, de son nom scientifique le Zolpidem, est un des somnifères les plus consommés en France : 22 millions de boîtes ont ainsi été vendues en France en 2012, selon l’Agence nationale de sécurité du médicament. Un chiffre qui pourrait bien baisser suite à une décision du ministère de la Santé, publiée au Journal officiel mardi. Son contenu ?  Le produit sera encadré en partie par la réglementation sur les stupéfiants à compter du 10 avril prochain, pour lutter contre "le risque de pharmacodépendance, d’abus et d’usage détourné". Concrètement, cela signifie que les patients devront justifier d’une ordonnance sécurisée pour se procurer du Stilnox. Ces ordonnances prévues pour la délivrance de stupéfiants sont calibrées selon un grammage et un filigrane bien particulier pour éviter les falsifications et les trafics.

  • Pourquoi le phénomène pose question

Cette décision relance le débat récurrent sur l’usage détourné des médicaments psychotropes. En clair, une partie des utilisateurs de ces médicaments en consomment non pas pour leurs vertus thérapeutiques, mais pour les sensations qu’ils procurent. Un phénomène d’autant plus important étant donné que la France est le premier consommateur européen en la matière d’après l’Office parlementaire d’évaluation des politiques de santé. Et cette "mode" n’est pas prêt de passer, car l’Organe International de contrôle des Stupéfiants estime que l’abus de médicament dépassera bientôt la consommation de drogues illicites "traditionnelles" sur l'ensemble de la planète.

  • Quels sont les médicaments les plus détournés ?

L’Observatoire français des drogues et des toxicomanies liste quatre catégories de médicaments susceptibles d’être utilisées à ces fins : les antidouleurs, les psychostimulants, les hypnotiques sédatifs et les anxiolytiques tranquillisants. "Le médicament qui est le plus consommé dans la rue reste le Valium", assure à Europe 1 un infirmier travaillant dans une structure parisienne spécialisée dans la toxicomanie. Avant d'entamer une litanie des autres produits en vogue : "L'Artane est également bien répandu. C'est un anti-parkinsonien surnommé "la donneuse de courage" qui désinhibe complètement quand on le surdose. Le Lyrica, un anti-douleur neuropathique, est aussi très recherché." 

Les pratiques les plus extrêmes concernent les consommateurs d’héroïne qui, pour éviter de se procurer cette drogue de rue potentiellement coupée, s’injectent depuis plusieurs années déjà le contenu des pilules de Skénan, un antidouleur prescrit dans les cas les plus extrêmes, notamment les cancers. "Les consommateurs suivent des effets de mode, la consommation d'un médicament en particulier se généralise, jusqu'à ce qu'il soit remplacé par un autre", reprend l'infirmier spécialisé en toxicomanie. Ainsi, aux États-Unis, les rappeurs Lil Wayne et Asap Rocky vantent les mérites du Purple Drank, un mélange de sirop à base de codéine et de prométhazine associés à un soda. Cette boisson provoque addictions, somnolence, crises convulsives et parfois overdoses.

  • Qui sont les consommateurs concernés ?

Difficile cependant de jeter la pierre aux consommateurs. Si certains se procurent ces médicaments dans l’intention délibérée de "se défoncer", d’autres développent peu à peu une dépendance insidieuse. Parmi cette population, l’OFDT estime que de nombreuses personnes âgées, prenant des anti-douleurs ou des somnifères, sont concernées. Mais l’instance souligne également le nombre croissant de "jeunes adultes" qui utilisent en toute connaissance de cause ces substances à des fins récréatives. Ainsi, 2% des adolescents de 4e et de 3e ont déclaré avoir consommé des médicaments pour se droguer, 7% des moins de 16 ans ont déjà expérimenté la prise de médicaments pour augmenter les effets de l’alcool et 19% ont déjà pris des anxiolytiques ou des hypnotiques.

  • Quels sont les dangers de ces pratiques ?

Le plus grand danger de ces médicaments, c’est que leur statut pharmaceutique endort la méfiance des consommateurs. Or, comme toute autre drogue, ces médicaments peuvent mener à la dépendance et à la toxicomanie. Avec tout ce qu’elle comporte, à savoir l’implication dans des petits trafics.

  • Pourquoi il est difficile de lutter contre ces pratiques

Le problème face à ces usages détournés de médicaments, c’est qu’il est difficile de les encadrer. Ainsi, la mise en place d’ordonnances sécurisées n’empêche pas les patients de se rendre chez plusieurs médecins à la fois pour se constituer un stock. Les informations, centralisées dans un fichier, mettent parfois un moment à remonter. Suffisant pour que les consommateurs se fournissent en toute tranquillité, quand ils ne font pas appel à un proche pour en obtenir de nouvelles quantités. De plus, cette sécurisation des ordonnances a provoqué un boom des vols d’ordonnanciers et de tampons, qui se monnayent entre personnes "addict" à tel ou tel produit. Difficile pour les médecins et les pharmaciens de contrôler la consommation de leurs patients,  d’autant plus que ces derniers se fournissent et s’informent sur les usages détournés de médicaments sur Internet.