Le double visage de l’association Sanâbil, soupçonnée de participer à la radicalisation des détenus

L'association est censée apporter un soutien psychologique et financier aux détenus musulmans et à leurs familles.
L'association est censée apporter un soutien psychologique et financier aux détenus musulmans et à leurs familles. © FRED DUFOUR / AFP
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Caroline Politi , modifié à
Sous couvert d’apporter un soutien psychologique et matériel aux détenus musulmans, l’association est soupçonnée de jouer un rôle clé dans leur radicalisation. Elle a été dissoute ce mercredi.

Côté pile, l’association Sanâbil semble au-dessus de tout soupçon. Ses statuts ont été déposés à la préfecture à sa création, en mars 2010. Son site Internet et ses pages sur les réseaux sociaux sont des plus classiques. Son but, des plus louables : elle apporte un soutien psychologique et financier aux détenus musulmans et à leurs familles. Cela se matérialise de différentes manières : des lettres, des cours de religion, des visites au parloir et parfois de l’argent pour les aider à "cantiner" ou à payer leurs factures. Côté face, pourtant, le portrait est moins reluisant. "Elle est soupçonnée d’avoir joué un rôle clé dans la radicalisation de certains détenus sous couvert d’un soutien matériel et d’être en relation avec des réseaux islamistes", indique une source proche du dossier. Après avoir vu ses avoirs gelés le 26 octobre dernier, un "décret de dissolution" a été adopté ce mercredi, sur proposition du ministre de l’Intérieur, Bernard Cazeneuve.

Dès sa création, Sanâbil a été placée sous étroite surveillance. La personnalité de son fondateur et actuel président n’y est pas pour rien. Antho B., conseiller informatique pour Free, est entré dans les radars des services de surveillance dès 2005, alors qu’il vivait en Egypte avec sa femme et étudiait dans une école coranique salafiste. Là-bas, il rencontre les frères Clain, figures françaises du djihadisme. L’aîné de la fratrie, Fabien, a notamment revendiqué les attentats du 13-Novembre. Autant d’éléments qui ont poussé les autorités à assigner à résidence Antho B. le 21 novembre 2015. Mais aucune procédure judiciaire n’est en cours à son encontre, assure l’avocat de l’association, Me Bruno Vinay.

Des figures du djihad français. Parmi les quelque 740 bénéficiaires de l’association, c’est-à-dire les personnes ayant reçu au moins une lettre ou un appel d’un membre de l’association, figure quelques grands noms du terrorisme hexagonal. Fabien Clain, mais également, Sabri Essid, le beau-frère de Mohamed Merah, Djamel Beghal qui fut le mentor de Chérif Kouachi, ou Karim Mohamed-Aggad, frère d’un des terroristes du Bataclan, récemment jugé dans l’affaire de la "filière de Strasbourg". L’association ne conteste pas que parmi ses bénéficiaires, certains sont poursuivis pour terrorisme, "mais c’est une minorité", assure le conseil de Sanâbil. L'essentiel serait des détenus de droit commun. Il conteste également toute velléité d’évangélisation djihadiste. L’aide apportée est strictement légale. Tous les documents religieux envoyés aux détenus sont étroitement contrôlés par l’administration pénitentiaire. Me Bruno Vinay dénonce "une confusion entre le droit et la morale".

Selon lui, si l’association étroitement surveillée n’a été dissoute qu’après six ans, c’est justement parce qu’il n’y avait aucun élément à son encontre. "Ce sont des informations non fondées, il n’y a aucune preuve." De son côté, le ministère de l’Intérieur juge au contraire que c’était pour "consolider un dossier extrêmement sensible". L’article du code de la sécurité intérieur sur lequel s’appuie la dissolution (L 212-1) nécessite en effet d’étayer solidement la "provocation à la discrimination, à la haine ou à la violence envers une personne ou un groupe à raison de leur origine". "On ne dissout pas une association sans des éléments accablants", assure-t-on.

Contestation devant le Conseil d’Etat. Et plusieurs éléments sont venus renforcer, ces derniers mois, les soupçons sur le rôle-clé qu’aurait joué l’association au sein de plusieurs réseaux terroristes. Amédy Coulibaly, le djihadiste de l’Hypercacher, a participé en août 2014 -  soit moins de cinq mois avant l’attentat – au traditionnel pique-nique organisé par l’association pour récolter des fonds. L’année suivante, entre juillet et novembre 2015, Larossi Aballa, le djihadiste qui a poignardé en juin 2016 un couple de policiers à son domicile de Magnanville, a intégré l’association en tant que bénévole. Son attentat a été revendiqué par un ancien responsable de Sanâbil, Adrien G., actuellement en Syrie. L’ancien trésorier de l’association, Léonard L., est également parti rejoindre les rangs de l’organisation terroriste.

A Libération, qui s’est entretenu avec Antho B., le président de l’association ne conteste pas connaître Fabien Clain et Sabri Essid "dans un cadre privé" mais dit "condamner le djihad" et ne rien "avoir à faire en Syrie et en Irak". Par la voix de son avocat, il assure qu’il compte engager une procédure devant le Conseil d’Etat pour annuler la dissolution de Sanâbil.