“Le crayon qui guide la liberté” : les coulisses d’une photo historique

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La photo a fait la une de la presse internationale. Europe 1 vous raconte le making-of de cette image historique, prise lors de la marche républicaine de dimanche.

Une photo comme une peinture. Voici l’un des ingrédients garantissant le succès d’une image. Alors quand la photo en question ressemble à une peinture extrêmement célèbre, faisant de surcroit écho à l’actualité, tous les éléments sont réunis pour qu’elle fasse le tour du monde. Et ça n’a pas manqué. La photo, rebaptisée “le crayon guidant le peuple”, en référence à “La Liberté guidant le peuple”, de Delacroix, a fait la une des journaux du monde entier pour illustrer la marche républicaine de dimanche. Europe 1 vous raconte le making-of de cette photo.

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Ce qu’on voit. Ce que l’on voit d’abord c’est un jeune homme, debout, brandissant un crayon à papier géant, le tout perché sur Le Triomphe de la République, l’immense statue place de la Nation. Juste en dessous de lui, un homme agite le drapeau français. Et tout autour, des manifestants sont massés sur cette célèbre statue, certains arborent une pancarte “Tous Charlie”. La scène se déroule au crépuscule, alors que la nuit commence à tomber, vers 17 heures.

Qui a pris cette photo ? Ce jour-là, le photographe Stéphane Mahé a été appelé en renfort pour couvrir la marche républicaine historique qui s’est tenue dimanche à Paris. Dépêché par l'agence de presse Reuters, pour qui il travaille depuis 2007, le reporter est donc venu de Nantes pour suivre le cortège officiel, rassemblant les chefs d’État et de gouvernement, rue du Chemin Vert. Une fois le bref événement passé, Stéphane Mahé s’est dirigé vers la place de la Nation, où il devait couvrir la fin du rassemblement

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C’est là-bas que la fin de la marche devait se tenir. Mais en raison de l’affluence exceptionnelle, les manifestants stationnent sur la place. Et certains sont même montés sur la statue. "Je me suis frayé un chemin dans la foule. Une fois arrivé au pied de la statue, j’ai tourné autour, une fois, deux fois, pour trouver un bon angle pour ma photo. Quand je l'ai trouvé, il y avait la statue, ce gars avec ce crayon, et un gars plus bas, qui agitait le drapeau. Je déclenche et je vois sur le boitier que tout était rentré dans l'image. Je me suis dit que, potentiellement, il y avait une photo intéressante", nous confie-t-il modestement. Ça ne manque pas. Quelques minutes après avoir confié ses images aux éditeurs de Reuters, situés dans un bar place de la Nation, Stéphane Mahé reçoit les premiers messages de félicitations de ses proches et confrères.

Qui figure sur la photo ? Charles Bousquet, lui, est posté sur la statue depuis 16 heures. “Je suis monté sur cette statue pour avoir la meilleure vue possible. Une fois assis sur la statue, j'ai vu les gens arriver petit à petit et la place se remplir. En voyant tous ces gens arriver, j'étais ému, alors je me suis levé en brandissant le crayon”, se souvient le jeune comédien, âgé de 22 ans, interrogé par Europe 1. Pour l’histoire du crayon, il reconnaît que l’objet n’était pas à lui, mais que le manifestant à qui il l’avait emprunté lui a laissé, en disant : “vas-y c’est bon, tu le mérites”.

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S’il reconnait qu’il n’était pas un fervent partisan du journal satirique, Charles Bousquet assure que son “rôle” était d’être présent à la marche. “J'aime qu’on se moque de certaines choses, mais parfois ils allaient vraiment dans l’extrême. Mais sincèrement, quand j’ai vu Cabu, Charb, Wolinski. Leurs vies se sont arrêtées comme ça, en quelques secondes. Et puis ensuite il y a eu la prise d’otages du magasin casher, j’avais vraiment le ventre noué. J'étais obligé de réagir", confie Charles Bousquet, qui s'est rendu seul à la manifestation.

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L’occasion pour lui “de s’exprimer, de décompresser" et de "se recueillir, seul", en hommage aux personnes tuées, confie-t-il à Francetvinfo. L’occasion aussi de défendre "la paix, la liberté de la presse" et de lutter contre "les amalgames" entre terroristes et musulmans. Mercredi, Charles Bousquet s'était déjà rendu au regroupement organisé juste après l’attentat à Charlie Hebdo.

Après une brève recherche sur Twitter, on s’aperçoit que ce n’est pas la première fois que le jeune homme originaire de Lamalou-les-Bains, dans l’Hérault, fait parler de lui. En septembre dernier, il avait en effet sauvé des campeurs pris dans la crue éclair de la rivière le Bitoulet.

Regardez la vidéo de Charles Bousquet sauvant des riverains de la noyade :

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Et maintenant ? Au lendemain de la marche républicaine, la photo de Stéphane Mahé a fait le tour de la presse internationale. Le Times britannique en a fait sa une, comme Le Monde, en France. Près de 600 médias en ligne ont repris l’image : des médias russes, coréens, chinois, anglais, etc, rapporte un outil statistique de Google.

Aujourd’hui, Charles confie sur Facebook que cette photo est la “photo d’une vie, la photo de ma vie”. Mais il ne veut pas pour autant être qualifié de héros, comme il l'a lu dans certains article sur lui. "Certains médias ont titré : 'le héros au crayon', ça m’a beaucoup gêné. Je ne suis en rien un héros. J'étais juste au bon endroit, au bon moment, ça n’a rien d'héroïque. Le héros, c'est le jeune homme qui a sauvé les otages de la porte de Vincennes en les cachant dans une chambre froide. Lui c'est un héros. Moi, je suis peut-être devenu un symbole, mais pas un héros", insiste-t-il.

En voyant le retentissement autour de cette photo, Charles a par ailleurs contacté le photographe à l’origine du cliché pour lui témoigner son émotion et le remercier. De son côté, Stéphane Mahé se dit surpris par l’ampleur du phénomène. “C'est une marche un peu historique, mais je ne pensais pas que cette photo serait symbolique à ce point”, réagit le photographe habitué des manifestations, pour avoir notamment couvert les Manif pour tous et Notre-Dame-des-Landes, "une toute autre ambiance", lâche-t-il.

Une sœur jumelle. Sur Twitter, de nombreux internautes estiment que cette photo devrait figurer dans tous les livres d’histoire. Mais une autre image vient faire de l’ombre à celle de Stéphane Mahé. Une photo prise par Martin Argyroglo, un photographe indépendant, quelques heures plus tard, au même endroit, mais avec un cadre plus large. On retrouve donc cette foule agglutinée sur la statue, le drapeau français, les slogans... Et Charles, qui n’a donc pas menti : il est bien resté des heures sur cette statue, puisque qu’il est toujours là, à brandir son crayon, alors que la nuit est tombée.