L’assassinat d’Ilan Halimi : retour sur un déni collectif

Des images d'archives d'Ilan Halimi diffusé dans le documentaire L'assassinat d'Ilan Halimi sur France.
Des images d'archives d'Ilan Halimi diffusé dans le documentaire L'assassinat d'Ilan Halimi sur France. © Capture France 3
  • Copié
, modifié à
A l’occasion des dix ans de la mort d’Ilan Halimi, France 3 diffuse un documentaire qui tente de comprendre pourquoi les acteurs n’ont pas pris en compte la dimension antisémite du rapt et du meurtre.

L’affaire avait ébranlé la France : le 13 février 2006, Ilan Halimi est retrouvé agonisant en banlieue parisienne, torturé à mort par le "gang des barbares". A l'occasion des dix ans de sa disparition, France 3 diffuse jeudi "L’assassinat d’Ilan Halimi", un documentaire sans pathos ni dogmatisme, qui met en lumière les erreurs d’appréciation des enquêteurs chargés de l’affaire. Avec l’apaisement et la rigueur que seul le temps rend possibles, le réalisateur Ben Izaak revient sur la mise en échec des forces d’élite de la police par le gang des barbares, mené par Youssouf Fofana, un homme de 25 ans aux préjugés antisémites tenaces.

Tous les acteurs du dossier convoqués. Le documentaire s’ouvre sur le cultissime Nocturnes n°9 de Chopin, une symphonie sombre, au rythme lent, à l’image du film qui suit. Pour décrire avec précision ce drame devenu symbole de la violence antisémite, Ben Izaak prend son temps, séquençant en chapitres son documentaire construit autour des témoignages des différents acteurs du dossier (le procureur Philippe Bilger, l'élu socialiste Julien Dray, la journaliste Patricia Tourancheau, la maire de Bagneux, les enquêteurs de la BRI, la psychologue qui a mené les négociations avec Fofana, ou encore la sœur d'Ilan Halimi).

Celui de Me Francis Szpiner lance le film. Et répond à la question sous-jacente que pose le documentaire : "s'agissait-il d’un crime antisémite ?". Pour l’avocat de la famille Halimi, qui a fait d’Ilan Halimi la personnification de la manifestation antisémite en France, la réponse tombe sous le sens. Pour Me Françoise Cotta, la conseillère d’un des prévenus, dont le témoignage suit celui de Me Francis Szpiner, cette posture requiert prudence. Ces deux acteurs de l’affaire Halimi résument l’enjeu du documentaire : mettre en lumière un déni, celui de la police et de la justice, qui tardent à prendre en compte la piste antisémite dans le rapt d’Ilan Halimi, dans la nuit du samedi 21 janvier 2006.

Francis Szpiner

Des enquêteurs qui optent pour la stratégie du silence. Ce soir-là, le jeune homme de 23 ans dîne chez sa mère, comme tous les vendredis. Il honore ensuite son premier rendez-vous avec Yalda, une jeune femme rencontrée boulevard Voltaire, dans la boutique de téléphonie où il travaille. Après avoir pris un verre avec elle, il accepte de la suivre dans son studio de la banlieue sud de Paris. Arrivé à destination, Ilan Halimi est extirpé de sa voiture par des individus qui le rouent de coups, l’assomment et le jettent dans le coffre d’un 4X4.

Le lendemain, Youssouf Fofana adresse un mail à la famille Halimi dans lequel il réclame 450.000 euros en échange la libération d’Ilan Halimi. La famille prévient alors la police, et la brigade criminelle, l'unité d'élite de la police judiciaire de Paris, se saisit de l’enquête. S’en suivent de longues heures d’angoisse, d’incertitudes et d’espoirs déçus pour la famille de la victime. Car pendant trois semaines, le gang des barbares va mettre en échec l’élite de la police française, qui a opté pour la stratégie du silence, en conseillant aux proches d’Ilan Halimi de ne pas ébruiter l’affaire, en décidant de ne pas diffuser de portrait-robot de Youssouf Fofana, et en conseillant à la famille de ne pas payer de rançon. Surtout, les enquêteurs ont négligé le caractère antisémite de l’affaire au profit de la piste crapuleuse.

Des prévenus lors du procès d'Ilan Halimi

"Bien sûr que c'est un échec". "Ma mère a dit à la police : ‘je vous dis qu'Ilan est juif et que c'est pour ça qu'il est dans cette situation aujourd'hui’. Elle l'a dit fermement. Mais la police répondait : 'non, c'est juste crapuleux, ils cherchent simplement de l'argent'", résume Yael, la sœur d’Ilan Halimi, visage dans la pénombre. Une erreur d’appréciation que reconnaît le commandant de police Mario Menara, qui regrette amèrement, encore aujourd’hui, de ne pas avoir pu sauver le jeune homme. "C'est la première personne enlevée que l'on n'a pas retrouvée vivante. Bien sûr que c'est un échec", lâche-t-il, visage flouté. Un échec qui a conduit à la mort d’Ilan Halimi, retrouvé agonisant près d’une voie de RER dans l’Essonne, et dont la mère a été informée en lisant le journal 20 Minutes.

" Je vous dis qu'Ilan est juif et que c'est pour ça qu'il est dans cette situation aujourd'hui "

"D'abord on l'a douché, parce que l'on ne voulait pas qu'il y ait de traces d'ADN, puis on l'a tondu, puis on l'a tué. Après l'avoir tué, on l'a brûlé. Le processus de la mort d'Ilan Halimi ne peut que renvoyer à la mémoire juive qui est celle de l'exécution des juifs. Le processus de la mort d'Halimi est un processus bouleversant", rappelle Me Francis Szpiner.

"Une dimension intrinsèquement crapuleuse". Cette piste antisémite, il l’a défendue lors du procès du "gang des barbares", composé d’une vingtaine d'individus, dont la plupart ont été remis en liberté. Car même lors du procès, la question se pose de savoir si l’antisémitisme repose sur le fait de tenter d'extorquer une rançon à la famille Halimi, supposément riche car de confession juive. "Comme si c’était l’un ou l’autre l’antisémitisme ou le crime crapuleux. Mais l’antisémitisme revêt une dimension intrinsèquement crapuleuse", résume le philosophe Adrien Barrot.

Dix ans après la mort d’Ilan Halimi, ce documentaire rétablit l'aspect antisémite de ce crime. La meilleure façon de rendre hommage au jeune homme.

 

>> L'assassinat d'Ilan Halimi, jeudi 11/02/2016, à 23:15, sur France 3