Le viol, un problème suffisamment pris au sérieux en France ?

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Le Haut Conseil à l'Egalité publie mercredi un rapport accablant sur la "grande tolérance sociale" dont bénéficie encore le viol dans notre société. Un constat loin d'être étonnant pour la psychiatre Muriel Salmona, interrogée par Europe 1.

"Un phénomène massif". Voilà comment Danielle Bousquet, présidente du Haut Conseil à l'Egalité (HCE) qualifie le viol et les agressions sexuelles dans une interview au Parisien. Le HCE publie mercredi un rapport très sévère sur la question, afin de permettre "une meilleure condamnation sociétale et judiciaire" de ces crimes. 

Car les chiffres sont terrifiants : 83.000 femmes adultes déclarent avoir été victimes de viols ou tentatives de viols, selon les chiffres publiés par l'Observatoire national des violences faites aux femmes en 2013 alors que seul 1% des viols font l'objet d'une condamnation, d'après les chiffres de l'institut Ispos parus en 2015. Alors, pourquoi malgré les nombreuses campagnes de prévention et de sensibilisation, la société reste encore très en retard dans la compréhension et la prise en charge des victimes de viols ? Europe 1 a interrogé Muriel Salmona, psychiatre-psychotraumatologue, présidente de l'association "Mémoire traumatique et victimologie".

A cause de "la culture du viol". Si "tout le monde est d'accord pour dire que le viol, c'est grave", explique Muriel Salmona, "il persiste toujours une minimisation et une méconnaissance" de ce qu'il représente. "Et surtout", poursuit la psychiatre, "la culture du viol est encore très présente". "La culture du viol, c'est quoi ? C'est de dire que soit les femmes peuvent mentir, soit elles l'ont bien cherché, soit lorsqu'une femme dit non, ça peut aussi vouloir dire oui". Ainsi, selon une enquête Ipsos publiée en décembre 2015, 40% des Français considèrent que des femmes qui ont eu une attitude provocante en public sont en partie responsables de ce viol.

Conséquence : seules 10% des victimes osent porter plainte d'après le rapport annuel de l'Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales publié en 2013. "Ces femmes ont du mal à penser qu'elles ont été violées, il y a la culpabilité, la honte, elles sont en incapacité à pouvoir se défendre", assure Muriel Salmona. "Pour qu'il y ait plus de victimes qui portent plainte, il faut donc aller les chercher. Les proches doivent les interroger si des signes les alarment mais c'est aussi la responsabilité des médecins de le faire systématiquement lors de consultations".

A cause du manque de formation des médecins. Problème : en parler à son médecin suppose qu'il soit un minimum formé. Et c'est là que le bât blesse. "C'est de la folie, on a toutes les connaissances sur les conséquences psychautromatiques des viols mais les médecins ne sont quasiment pas formés", déplore Muriel Salmona. La psychiatre participe à la formation des urgentistes sur le sujet. "Il y a eu une première session de formation en juin et l'autre doit avoir lieu en janvier, mais c'est seulement une journée", soupire-t-elle. Cette dernière se bat aussi pour que les futurs médecins étudient la psychotraumatologie dans les universités.

Muriel Salmona rappelle également que la France a ratifié en juillet 2014 la convention d'Istanbul contre les violences  à l'égard des femmes et la violence domestique. Or, cette convention exige la mise en place de centres d'aide d'urgence pour les victimes de viols et de violences sexuelles "afin de leur dispenser un examen médical et médico-légal". Ce qui n'est pas encore le cas.

A cause du manque de protection des victimes. Enfin, la psychiatre met en exergue le problème de la protection des victimes. "Il faut entendre le danger qu'elles courent et les mettre à l'abri. Il est impensable que des victimes portent plainte et que l'agresseur soit au coin de leur rue". La psychiatre a ainsi en tête l'exemple d'une patiente violée en réunion. "Elle a donné le nom de ses agresseurs. Or les policiers ont mis du temps à les interpeller. Résultat : ils l'ont reviolée avec sévices et l'ont quasiment tuée. C'était des mineurs, ils sont sortis au bout de trois ans. Maintenant, ma patiente veut changer de nom et avoir une chirurgie faciale, car elle se sent à nouveau menacée".

Soigner les victimes de viol est possible mais "il faut du temps et pouvoir les mettre à l'abri", insiste Muriel, qui préconise enfin "un accès gratuit aux soins".

Que propose le Haut Conseil à l'égalité ? 12 recommandations sont faites par le HCE dans son rapport. Parmi lesquelles : le lancement d'une première campagne gouvernementale de sensibilisation consacrée au viol, l'instauration d'un seuil d'âge -13 ans- en dessous duquel les mineurs (es) sont présumés (ées) ne pas avoir consenti à un acte sexuel avec une personne majeure, le renforcement de la définition du viol et des agressions sexuelles dans le Code pénal ou encore la fin de la "correctionnalisation" des viols (juger les viols comme des délits et non des crimes).