Jour du dépassement : "Les gens pensent qu'il n'est pas nécessaire de changer de trajectoire"

"Dans les villes, tout va bien, mais ailleurs les gens se mettent à migrer avec le changement climatique", déplore Mathis Wackernagel.
"Dans les villes, tout va bien, mais ailleurs les gens se mettent à migrer avec le changement climatique", déplore Mathis Wackernagel. © AFP
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Thibaud Le Meneec
Si l'humanité aura consommé mercredi soir la totalité des ressources de la Terre pour l'année 2018, rien n'est pour autant irréversible, veut croire le président de l'ONG à l'origine de ce concept.

Le jour du dépassement est une date redoutée des écologistes. Depuis sa création en 2006, la date à laquelle l'humanité a consommé la totalité des ressources que la planète peut régénérer en un an avance inexorablement. Cette année, c'est le mercredi 1er août que la bascule s'opère, soit deux jours plus tôt qu'en 2017, un mois plus tôt qu'en 2004 et trois mois plus tôt qu'en 1986. Dès l'année prochaine, ce "jour du dépassement" pourrait tomber au cours du mois de juillet, craint Mathis Wackernagel. Mais le président de Global Footprint Network, l'ONG à l'origine du concept, n'est pas fataliste pour autant, comme il l'explique à Europe 1.

Un "jour du dépassement" qui tomberait en juillet est-il inéluctable ?
Non ! Comme avec l'argent, on peut dépenser plus qu'on ce qu'on gagne, mais on peut changer de trajectoire. Le problème, c'est que les gens pensent que ce n'est pas nécessaire, car ils voient que le réfrigérateur est plein. Et en effet, voir que la planète est sur-utilisée, ce n'est pas très évident, sauf en situation de canicule ou d'incendies.

Comment tentez-vous d'expliquer au grand public le chemin qu'il faut prendre ?
Notre ONG s'est concentrée sur quatre axes. Les villes, d'abord. Comment les aménager ? Il nous faut des villes compactes, avec maisons efficaces énergétiquement, en utilisant moins de ressources, comme les villes méditerranéennes. Ensuite, comment produit-on l'énergie ? On sait que le charbon n'est pas efficace, et que l'éolien l'est bien davantage, par exemple. Comment assure-t-on l'alimentation de la planète ? On le sait, consommer de la viande nécessite beaucoup d'énergie. Enfin, comment gérer 7 milliards d'humains ? Il faut investir dans l'égalité hommes-femmes, tendre vers des familles plus petites, plus saines. Ensuite, tout est une question de volonté.

Le "jour du dépassement" a avancé de deux jours en 2018, est-ce que cela traduit une accélération de la consommation de ressources ?
Le jour du dépassement avance moins vite qu'il y a dix ans, mais s'il restait à cette date du 1er août, ce ne serait pas bien ! Reculer de cinq jours par an, ce serait mieux, on se retrouverait à utiliser une seule planète en 2050, alors qu'on en est aujourd'hui à 1,7 planète. On s'est aussi rendu compte qu'améliorer les bâtiments en matière énergétique pourrait faire reculer le "jour du dépassement" de 21 jours, sans changer le confort des humains. Ce n'est certes pas possible de tout rebâtir, mais on peut au moins améliorer ce qui existe déjà. Et tout ce qu'on produit dès maintenant, on devrait le faire sans énergies fossiles.

" Les gouvernements ont tous les leviers d'action et ont donc une grande responsabilité "

Quel est le but de votre slogan #MoveTheDate, et à qui s'adresse-t-il ?
Le "jour du dépassement", c'est une manière d'expliquer une situation compliquée de manière simple, pour que les enfants et les ministres puissent comprendre. On donne quelque chose de quantitatif, sans juger. Nous slogan s'adresse à tous car nous sommes tous des citoyens, nous consommons tous. Il y a bien sûr des gens qui ont plus d'influence que d'autres, mais la participation commence avec la volonté, même au plus petit niveau. C'est une nécessité.

N'est-ce pas davantage de la responsabilité des entreprises et des gouvernements de mener le changement ?
Pour les entreprises, ça devrait être la norme de favoriser la préservation de l'environnement. Ce n'est pas seulement bien pour l'humanité, mais c'est aussi bien pour l'entreprise d'un point de vue économique. Quant aux gouvernements, ils ont tous des leviers d'action et ont donc une grande responsabilité pour dessiner le futur.

" Quand les gens entendent "protection de l'environnement", ils perçoivent un devoir. Ce ne doit pas être une invitation à la souffrance "

Faut-il rendre la protection de l'environnement plus attrayante ?
Le conseil le plus important que l'on puisse donner, c'est encourager les gens à se dire non pas "je devrais", mais "je veux". Je veux vivre dans une ville sans voitures, avec des familles plus petites, où l'on respecte les femmes… Quand les gens entendent "protection de l'environnement", ils perçoivent un devoir, ils voient cela comme quelque chose de douloureux. Ce ne doit pas être une invitation à la souffrance. Moi par exemple, je prends du plaisir quand j'utilise ma bicyclette dans une ville où, il n'y a pas besoin de voitures. Il faut le voir comme un bénéfice.

Qu'en est-il pour la France, qui a un "jour du dépassement" bien plus avancé, le 5 mai ?
Elle a le problème de beaucoup d'économies développées. C'est une lubie depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale : on recherche à tout prix la croissance, en pensant que c'est gratuit. Sauf que le PIB ne voit pas la destruction du capital naturel.