Jawad Bendaoud au tribunal : "y'a un billet à prendre, je vais pas cracher dessus"

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Intarissable et très nerveux, le "logeur" de deux des terroristes du 13-Novembre a répété qu'il ne savait rien du profil de ses locataires, jeudi devant le tribunal correctionnel de Paris.

"Je me suis défendu comme si j'avais volé un sac à main. J'avais pas saisi que j'allais atterrir dans une affaire de terrorisme, où il y a 130 morts et 400 blessés." Devant des dizaines d'avocats représentant les victimes du 13-Novembre, Jawad Bendaoud mesure mal ses mots. Nerveux, agacé, le "logeur" de deux djihadistes, jugé pour "recel de malfaiteurs terroristes", semble aussi en colère que soucieux de prouver qu'il ne savait rien des activités de ses hôtes. Le résultat est accablant de maladresse : "vous savez, le mec dans l'imprimerie avec les Kouachi, il n'avait pas choisi d'être là. Moi, j'ai pas choisi non plus."

"J'ai dit ok, 150 euros". Le 13 novembre 2015 au soir, dix terroristes attaquaient des terrasses parisiennes, la salle de concert du Bataclan et les abords du Stade de France. Le 13 novembre 2015 au soir, Jawad Bendaoud "mangeait des lentilles au bœuf" avec son père. "Il m'a dit qu'il y avait des mecs qui s'étaient fait exploser. Vous allez vous moquer de moi, mais j'ai eu l'image de Pakistanais ou d'Hindous, pas de mecs de mon âge. Et puis il m'a dit qu'ils étaient tous morts. J'ai jamais su qu'il y avait deux gars en cavale."

Alors lorsque Mohamed Soumah, son "associé" dans un trafic de drogue, lui présente Hasna Aïtboulahcen, Jawad Bendaoud ne se méfie pas. "Evidemment, je savais pas que c'était la cousine d'Abdelhamid Abaaoud (coordinateur présumé des attentats, ndlr). C'était une Maghrébine, pas mon style. Elle me dit : 'j'ai mon frère qui habite pas loin et qui s'est pris la tête avec sa femme, est-ce que tu pourrais l'héberger deux ou trois jours ?' J'ai dit ok, 150 euros. Elle m'a dit, pas de problème." Le prévenu marque une pause. "Vous comprenez...Y'a un billet à prendre, je vais pas cracher dessus."

"Ici, c'est pas BFM, c'est le tribunal". Ledit hébergement est en fait un "squat", rappelle la présidente, Isabelle Prévost-Desprez. Au moment des faits, Jawad Bendaoud en "possède" quatre. "Et encore, il y en avait un autre dans l'immeuble d'en face, j'avais plus qu'à démonter la serrure ! J'allais le faire deux ou trois jours plus tard, mais on m'a arrêté..." Celui qu'il propose au "frère" d'Hasna Aïtboulahcen se trouve rue du Corbillon, à Saint-Denis. "J'ai dormi dedans quatre ou cinq nuits, quand j'étais trop défoncé. Lorsque BFM m'a interpellé pendant l'assaut, j'ai dit que c'était chez moi, au sens où j'ai les clés, quoi." Recadrage immédiat de la présidente : "ici c'est pas BFM, c'est le tribunal. Il y a un dossier d'instruction, et c'est vous que j'écoute."  

" Il me dit : "j'ai passé trois jours de merde, je veux faire ma prière, me laver et dormir  "

Quelques minutes durant, le rappel à l'ordre recentre le propos du prévenu, qui raconte. "Abdelhamid Abaaoud rentre dans l'appartement, je lui serre la main. Je serre aussi la main de Chakib Akrouh, le deuxième terroriste. Je ne sais pas qui ils sont." Depuis le box, Jawad Bendaoud mime la fatigue du premier, se laissant tomber sur son siège. "Il me dit : 'j'ai passé trois jours de merde, je veux faire ma prière, me laver et dormir. Il me demande où il y a une sandwicherie, je lui réponds. C'est que le lendemain que je me dis : s'il habite dans le quartier, il est pas censé savoir ça ?"

Snoop Dog et Ben Laden. Le lendemain, c'est l'assaut du Raid. "Je me réveille avec 40 textos qui me disent que les terroristes sont chez moi. Je pars, je dis à ma copine que je reviens dans 10 minutes. Je ne suis jamais rentré." Jawad Bendaoud fait signe qu'il a trop chaud et retire sa veste rouge vif, aux couleurs du Paris Saint-Germain. Son t-shirt laisse apparaître des biceps saillants. Il ne sait plus où il en est. "Il y avait des signes... Mais je les ai mal interprétés, madame. C'est comme si vous me disiez que Snoop Dog, il fait des soirées avec Ben Laden. C'est impensable."

Le logeur parle vite, multipliant les digressions. Isabelle Prévost-Desprez garde son calme et réclame la fin du récit. "La première fois que j'entends parler du Bataclan, de la Bonne bière, du Petit Cambodge, c'est en regardant BFM, dans ma cellule en prison. Voilà.", lâche Jawad Bendaoud.

"On n'est pas vraiment des honnêtes citoyens". La présidente rappelle que l'exploitation du matériel informatique du jeune homme n'a permis de découvrir aucun document en lien avec le djihad ou l'islam radical. Jawad Bendaoud hoche la tête : "vous voyez !" Comment explique-t-il une conversation téléphonique de trois minutes avec Hasna Aïtboulahcen ? "J'ai la sale habitude de ne pas raccrocher, demandez à ma compagne, je me suis déjà fait choper avec une autre fille à cause de ça." Pourquoi n'a-t-il pas de ligne téléphonique à son nom ? "C'est comme ça dans mon quartier, on n'est pas vraiment des honnêtes citoyens." Quid du scotch sur lequel ses empreintes ont été retrouvées, utilisé par les terroristes ? "Il était dans l'appartement. J'ai du le manipuler à un moment ou à un autre, avant qu'ils arrivent." 

Devant le tribunal correctionnel, qui juge le premier dossier en lien avec les attentats, les débats prennent des allures de comparution immédiate. "La cocaïne, je ne sais pas s'il y a des consommateurs ici, mais c'est terrible : je prends un gramme, deux grammes, et pic et pic et colégram…" Les petites phrases de Jawad Bendaoud amusent de moins en moins une assistance gênée. Le prévenu choisit ce moment pour en appeler à l'empathie, toujours aussi maladroit : "Y'a personne qui se rend compte du traumatisme que j'ai subi, moi aussi. A aucun moment, on se dit juste : 'ce mec là, il était pas au courant'".