"J'ai ressenti une haine dissimulée", dit le policier qui surveillait Mohamed Merah

"Hassan" a suivi Mohamed Merah entre 2006 et 2012 (photo d'archives).
"Hassan" a suivi Mohamed Merah entre 2006 et 2012 (photo d'archives). © AFP PHOTO / FRANCE 2
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"Hassan", l'agent du renseignement qui a suivi le tueur au scooter entre 2006 et 2012, témoignait jeudi matin au procès de son frère Abdelkader, poursuivi pour complicité.

"J'ai jamais vu autant de policiers à un procès. J'en suis à l'overdose." Après trois semaines de débats, Me Dupond-Moretti, avocat d'Abdelkader Merah, ne cache plus son exaspération. Ce matin encore, un fonctionnaire témoigne sous X depuis un autre lieu que le palais de justice, sans image et la voix trafiquée. Mais celui-ci présente deux particularités de taille : celle d'avoir suivi le parcours de Mohamed Merah depuis son repérage par le renseignement, et celle d'avoir tenté, pendant 32 heures, d'obtenir sa reddition après les tueries de Toulouse et Montauban.

"On sentait que ce n'était pas un délire entre jeunes". "J'étais affecté au sein d'un groupe qui avait en charge le suivi de la mouvance radicale sunnite sous toutes ses formes", raconte celui que l'on surnomme "Hassan", analyste opérationnel de profession. En 2006, le premier membre de la famille Merah à entrer dans le radar du renseignement est Abdelkader. "On l'avait vu en train de faire du prosélytisme, d'essayer de convertir des dealers dans un quartier sensible. Et puis le service a identifié les autres membres de sa fratrie, à savoir Souad et Mohamed."

" On remarque une activité nocturne prolongée et de très rares sorties "

Ce dernier "montrait une forte conviction religieuse, tout en se comportant comme un petit caïd de cité", se souvient "Hassan". La même année, les agents mettent la main sur une vidéo où Mohamed, âgé de 18 ans, tient dans ses deux mains un couteau de boucher et un Coran. "On sentait que ce n'était pas un délire entre jeunes." Les deux frères Merah sont "placés sous fiche S" et surveillés, de loin, par les services de renseignement.

"Mohamed Merah vit reclus dans son appartement". "Mais en 2011, la DCRI (direction centrale du renseignement intérieur, ndlr) nous avise de la présence de Mohamed Merah en Afghanistan. On est saisis du dossier de ce voyage, comme des prestataires de service", poursuit le fonctionnaire, qui oppose dans son récit les "parisiens" à son équipe de Toulouse. "J'ai activé tous mes vecteurs d'information." Le retour du jeune homme en France, en février, n'échappe pas à l'équipe d'Hassan, qui le surveille désormais de près.

"Pendant deux semaines à ce moment-là, on constate que Mohamed Merah vit reclus dans son appartement, fenêtres et volets fermés. On remarque une activité nocturne prolongée et de très rares sorties, le plus souvent sur le balcon." Au bout de 15 jours, la cible des policiers quitte à nouveau ponctuellement son domicile, "pour rejoindre des membres de la mouvance salafiste locale." Sur la route, il accélère puis ralentit pour semer ses suiveurs. "Une fois, il a même regardé sous la voiture pour voir s'il n'y avait pas un dispositif de balisage."

Pas de téléphone portable propre. La surveillance n'est pas simple : Mohamed Merah n'a pas de téléphone propre et utilise "uniquement ceux de sa mère, ou des cabines près de chez lui." Au mois de septembre 2011, c'est avec "un peu de retard" que les policiers réalisent que le Toulousain se trouve au Pakistan. "On l'a retrouvé grâce à l'adresse email de sa soeur et on lui a demandé de venir nous voir dès son retour. Il a accepté."

" Je lui ai dit : "tu nous a un peu baladés quand même", et il a rigolé "

Quelques jours avant le rendez-vous, "Hassan" se rend au domicile de Mohamed Merah pour lui confirmer le lieu et l'horaire, "puisqu'il n'était pas joignable autrement". "Nous sommes le 10 ou le 11 novembre 2011. Je frappe, je vois madame Aziri. Je reste à la porte mais je visualise les pièces et je me dis : ça pourra servir, à tout hasard."

"On a discuté à bâtons rompus sur la religion". Quelques jours plus tard, le fameux entretien est mené par des "fonctionnaires de Paris" et ne laisse rien transparaître d'inquiétant. Puis "Hassan" a le droit d'interroger Mohamed Merah une dizaine de minutes. "Je lui ai dit : 'tu nous as un peu baladés, quand même', et il a rigolé. Puis on a discuté à bâtons rompus sur la religion. J'ai ressenti une haine, une violence qui était dissimulée. Et un très fort ressentiment religieux." Et après ? "Paris a repris la main sur le dossier, j'ai continué à travailler dessus de manière périphérique. Et puis il y a eu les tueries."

Le 21 mars, Mohamed Merah s'est retranché dans son appartement du quartier de la Côte Pavée. "J'ai dessiné le plan du logement, de mémoire, et je l'ai apporté au camp de base du Raid", explique "Hassan". "Un négociateur m'a demandé si je connaissais sa psychologie. J'ai dit que je l'avais vu deux fois, que je faisais son suivi opérationnel. Leur négociation n'aboutissait pas, il leur fallait un visage connu, ça s'est fait comme ça."

"Entrer dans son jeu, quitte à pactiser avec la bête". De son propre aveu, l'analyste, "homme de l'ombre", n'a "jamais été formé à la négociation". Il adopte sa stratégie "au feeling" : "maintenir le lien avec lui à tout prix, parce que c'est quelqu'un de narcissique. Il fallait entrer dans son jeu, quitte à pactiser avec la bête." Pendant des heures, les deux hommes discutent. Pour se rapprocher du forcené et tenter de le convaincre de se rendre, "Hassan" leur cherche des points communs et dit qu'il est musulman. "Et moi, je suis cosmonaute", répond Mohamed Merah.

" Ce n'était pas prémédité. Enfin, si, je comptais le faire, mais pas ce jour-là "

"Il a fallu lui arracher les mots et les informations. Pour lui, c'était un jeu de piste. Il gagnait du temps", se souvient le policier. Les réponses se contredisent parfois. A-t-il des complices ? "Je ne me suis confié qu'à une seule personne : Allah", affirme-t-il tantôt. Et puis : "c'est pas maintenant que je vais balancer des mécréants qui m'ont vendu des armes, ou des musulmans qui sont alliés avec moi." A-t-il préparé l'attaque de l'école juive Ozar Hatorah ? "Ce n'était pas prémédité. Enfin, si, je comptais le faire, mais pas ce jour-là." Et celle des militaires de Montauban ? "Oui, j'ai attendu qu'ils soient un petit groupe."

"Il voulait prendre les armes". "Est-il vrai que vous avez vous-même fait partie de ses cibles ?", demande l'avocate générale. "Oui, durant la négociation, il me dit froidement qu'il a voulu me tendre un piège parce qu'il me connaissait, me faire croire qu'il me donnerait des informations pour me tirer une balle dans la tête", répond le témoin, sans ressentiment apparent.

Sur celui qu'il a suivi pendant six ans, "Hassan" a pourtant un avis bien tranché : "oui, les convictions de sa famille créaient un contexte favorable à l'endoctrinement. Mais il a fait ses choix, il est passé à l'action parce que c'était son caractère. Avant même sa conversion, il cautionnait les actes des Moudjahidines." Dans le box, Abdelkader Merah a les yeux dans le vide. Le témoin enfonce le clou sur son frère : "Il a lu quelques textes religieux puis il a brûlé les étapes, parce qu'il voulait prendre les armes."