Harcèlement scolaire : les élèves référents sont-ils une bonne solution ?

© XAVIER LEOTY / AFP
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La ministre veut généraliser la formation de lycéens ambassadeurs qui joueront le relais entre l'enfant victime et l'équipe pédagogique. Un rôle trop pesant ? 

Jeudi sera une journée dédiée au harcèlement scolaire. Parmi les mesures annoncées par Najat Vallaud-Belkacem, figure la mise en place dans tous les établissements scolaires de "lycéens ambassadeurs". Des élèves référents qui interviendront dans les classes pour faire de la prévention. Et à qui les harcelés pourront se confier, sûrement plus facilement qu'à un adulte, qu'il soit enseignant ou parent. "Il faut faire sortir les victimes du silence, car tant qu'on n'en parle pas, le harcèlement ça dure, mais il faut aussi interpeller les témoins", a martelé la ministre de l'Education nationale, la semaine dernière, lors de la présentation d'une nouvelle campagne contre le harcèlement scolaire.

Des référents volontaires. Rue de Grenelle, on fait l'éloge de cette "sensibilisation par les pairs". A l'avenir, l'objectif est d'avoir trois lycéens référents par établissement secondaire. Une démarche basée sur le seul volontariat des élèves. "Les insultes qui fusent entre élèves, la vanne facile, on finit par ne plus en mesurer les effets (…) Devenir ambassadeur lycéen m'a ouvert les yeux, j'ai pris conscience que le harcèlement est banal, flagrant… même si, entre potes, on a du mal à reconnaître que ça fait mal…", confiait en février dernier Enzo au Monde.

Ces lycéens ambassadeurs amenés à intervenir dans les collèges et écoles primaires de leur secteur géographique recevront une formation expresse d'une journée "dispensée par une personne qualifiée" où leur seront présentés "des outils de sensibilisation".

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Si Marion avait pu parler à d'autres élèves, ça aurait pu l'aider. Encore faut-il qu'il y ait une équipe pédagogique derrière. Ces enfants ambassadeurs ne sont qu'un maillon de la chaîne

Derrière ce jargon de l'Education nationale, "l'important est de savoir s'ils sont bien formés", souligne Nora Fraisse, dont la fille Marion s'est pendue en 2013 après des mois d'humiliations et de brimades. "Ce n'est pas le temps passé mais le contenu qui compte", estime l'auteure du livre Stop au harcèlement scolaire et de Marion, 13 ans pour toujours, interrogée par Europe 1. "Ces lycéens ambassadeurs doivent pouvoir répondre à ces questions : 'Quel est mon rôle, sur quoi je m'engage ? Est-ce que je suis le bon relais ? A qui je dois m'adresser ?".

L'affaire de tous. Mais si le harcèlement scolaire est l'affaire de tous, pourquoi ne pas former tous les élèves à cette question ? "La mise en place de lycéens ambassadeurs est une bonne initiative mais cette expérimentation aurait mérité d'être peaufinée," estime la pédopsychiatre Nicole Catheline, auteure d'un "Que sais-je" sur le harcèlement scolaire, contactée par Europe 1.  

Pour la spécialiste des violences scolaires, il est plus pertinent de former la totalité d'une classe, comme cela se fait au Canada. "Le bémol de ces lycéens ambassadeurs, c'est qu'ils sortent du groupe et qu'ils ne soient plus capables de recueillir la parole de leurs camarades", s'inquiète Nicole Catheline. " A l'inverse, en formant la totalité d'une classe, les élèves s'autodésignent eux-mêmes en fonction des situations de harcèlement, de la sensibilité de chacun".

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Cela ne doit pas devenir un fardeau pour eux. Et ce ne sont pas non plus des Superman

Si l'initiative des élèves référents est plutôt bien perçue, des interrogations demeurent sur leur rôle exact et leur encadrement à l'école. "Si Marion avait pu parler à des élèves ambassadeurs, ça aurait pu l'aider. Encore faut-il qu'il y ait une équipe pédagogique derrière", estime Nora Fraisse. Cela ne doit pas devenir un fardeau pour eux. Et ce ne sont pas non plus des Superman… Il est important qu'ils sachent que leur rôle s'arrête, qu'ils ne sont qu'un maillon de la chaîne, qu'à un moment, les adultes prendront le relais".

Cet encadrement par les adultes est essentiel. "Le lycéen ambassadeur doit aussi être protégé. Il ne doit pas passer pour une 'balance", met en garde la pédopsychiatre Nicole Catheline.